Sorties CD

Par Michel Roubinet

Claude Arrieu (1903-1990)

Mélodies et chansons – Pièces pour piano

Françoise Masset (mezzo-soprano),
Vincent Leterme (piano)

LIVRET FRANÇAIS / ANGLAIS
Durée : 1h 17′ 35″
Maguelone MAG 59, 2025

Claude Arrieu, Chansons bas- VIII. La marchande d’habits

Une fois n’est pas coutume et confirme la règle, tout en faisant écho à la devise d’Orgues Nouvelles : « La Revue des Passionnés d’Orgue & de Musique ». Françoise Masset fait à elle seule le lien avec l’orgue, son impressionnante discographie, et sa réponse naturelle : le concert, témoignant d’une longue complicité avec l’instrument à tuyaux, mais aussi l’harmonium, en dialogue avec Joris Verdin, Georges Guillard, Kurt Lueders, Michel Alabau, Pascal Marsault ou Pascale Rouet, et bien d’autres encore. S’il n’est pas ici question d’orgue, on s’en voudrait néanmoins de ne pas partager une telle découverte, pépite musicale si réjouissante et stimulante. D’ailleurs, pas d’orgue, c’est vite dit, car il s’y trouve une étonnante mélodie, sur un poème de Charles Cros, intitulée… L’Orgue.

Connaissez-vous Claude Arrieu ?, interroge fort à propos Christian Wasselin sur le site Webtheatre (1) – et l’on est au regret de devoir avouer : hélas ! non. Le livret finement documenté du présent CD, sous la plume vive et conquise par son sujet de Françoise Masset elle-même, qui a consacré un mémoire de maîtrise à la compositrice (Une femme et un compositeur : Claude Arrieu, Université Paris-Sorbonne, 1985), retrace d’un côté le parcours de Claude Arrieu (née Louise-Marie Simon – sa mère Cécile Simon était elle-même pianiste et compositrice), de l’autre sa propre rencontre avec la musicienne et la connaissance ainsi acquise de son œuvre riche et variée.

Élève de Marguerite Long, Noël Gallon, Jean Roger-Ducasse mais aussi de Paul Dukas – dans la classe duquel, au Conservatoire de Paris, elle obtient en 1932 un Premier Prix de composition –, Claude Arrieu connut un brillant parcours professionnel. Entrée en 1935 à la Radiodiffusion française, elle y fut d’abord, dans le sillage de Pierre Schaeffer, « musicienne metteuse en ondes ». Devenue en 1944 chef adjoint du Service d’Illustrations musicales au côté d’Henri Dutilleux, elle quitte la radio en 1947 pour se consacrer avant tout à la composition. Outre le théâtre (de l’opéra-bouffe à l’opéra radiophonique), elle a composé pour le cinéma, la radio, le music-hall. Son catalogue de « musique pure » comprend plusieurs concertos (piano, deux pianos, violon, flûte, trompette et cordes), de la musique d’orchestre, de chambre, pédagogique, pour piano… La voix (soliste mais aussi chœur) y occupe une place de choix, dont quantité de mélodies et de chansons : Françoise Masset et Vincent Leterme en offrent ici un vaste florilège qui s’écoute l’oreille et l’œil inlassablement en éveil (l’intégralité des textes chantés figure dans le livret).

Des poètes de la Renaissance – Marot, Ronsard – jusqu’à ses propres contemporains, Claude Arrieu a puisé les textes qu’elle a mis en musique aux sources les plus diverses, la frontière entre mélodie et chanson étant d’ailleurs assez mouvante. De l’absolue miniature, ainsi le cycle Chansons bas (1936) sur des textes de Mallarmé, à la mélodie généreusement développée – s’il est impossible de toutes les citer, l’une d’elles mérite une attention particulière : La Belle qui viendra (1939, poème d’André de La Tourrasse), bouleversante de beauté mélodique et harmonique, dans sa sobriété, et de pure émotion via l’alternance, refrain-couplets, de climats délicatement contrastés.

Pour tenter de situer Claude Arrieu mélodiste, on pourrait certes évoquer Poulenc – les poèmes de Louise de Vilmorin et de Max Jacob faisant ici le lien. Mais la voix de Claude Arrieu est avant tout singulière, absolument libre et indépendante tout en s’intégrant parfaitement dans son temps. Douée d’un sens inné de la prosodie, volontiers spirituellement et délicieusement caustique – l’humour revendique une place à part entière – mais jamais acide, arborant un sens de la période, du rythme de la phrase poétique et de son support mélodique dans un stimulant et jubilatoire rapport d’égalité entre d’un côté le chant et la diction, de l’autre des parties de piano tout aussi piquantes et source de vie que judicieusement pondérées : la concision même, d’une spontanéité merveilleusement travaillée, Claude Arrieu parvient souplement mais avec quelle acuité à un équilibre tout simplement idéal !

La compréhension de ces mêmes qualités fait tout le charme et la beauté de cette gravure. Françoise Masset y déploie son talent de chanteuse et de diseuse, équilibre délicat ici admirablement opérant, distillant verve populaire, nostalgie, lyrisme ou même drame au gré des textes, sa diction parfaite et timbrée de même permettant d’en goûter chaque instant. Même lumineux et stimulant engagement dans le jeu de Vincent Leterme, indispensable au rapport d’équilibre entre la voix et ce qui la porte. Revit ici la poétique exactitude d’une approche instrumentale éminemment française, fuyant toute forme d’excès, tempérance et style étant les maîtres mots – et vivacité. L’enchantement est ici élargi et prolongé par la ponctuation de quelques pièces pour piano seul : La Toile d’araignée, extrait de La Boîte à Malice (1931), titre reflétant à souhait un aspect essentiel de l’esprit pétillant de la musique de Claude Arrieu, trois des Études Caprices de 1954, deux extraits des Intermèdes radiophoniques de 1945, Barcarolle et Nocturne. Et comme le partage est l’essence même de cette musique, le baryton Didier Henry prête sa voix à La chanson de Marianne (1947), version en duo sur le poème de Max Jacob, de même que Vincent Leterme bisse avec Françoise Masset le piquant Bonsoir au public de conclusion. Un enchantement !

(1Connaissez-vous Claude Arrieu ?, par Christian Wasselin

Claude Arrieu – Mélodies et chansons, Françoise Masset et Vincent Leterme, CD Maguelone MAG-59
https://www.maguelone.fr/fr/actualite/196-claude-arrieu-melodies-et-pieces-pour-piano-3770003584599.html

Site de Françoise Masset
http://www.francoisemasset.com/pages/actus.html

Écrits de Françoise Masset sur Claude Arrieu
http://www.francoisemasset.com/pages/claude-arrieu.html

Illustrations provenant du livret du CD :
Silhouette de Claude Arrieu, 1960, dessin d’Alfred Manessier – © collection Olivier Schneider
Claude Arrieu à Venise en 1949, lors de la remise du Prix Italia – © collection Françoise Masset

Couleurs de Vouvant

Musique de chambre autour de l’orgue Yves Fossaert

Éric Lebrun, orgue Yves Fossaert (2021) de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption de Vouvant (Vendée) ; Jérôme Hilaire, clarinette ; Édouard Sapey-Triomphe, violoncelle

LIVRET FRANÇAIS
Durée : 50′ &19″
Chanteloup Musique, collection Orgue et Musique à Vouvant OMV 005, 2025

Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Sonate pour clarinette et piano op. 167 – 1er mouvement : Allegretto
Franz Liszt (1811-1886)
Orphée, poème symphonique – transcription pour trio de Camille Saint-Saëns
Éric Lebrun (1967)
Couleurs de Vouvant op. 52 pour clarinette, violoncelle et orgue
Récitatif : clarinette solo – Mouvement : violoncelle et orgue – Andante : trio – Danse : trio
Germaine Tailleferre (1992-1982)
Arabesque pour clarinette et piano
Nadia Boulanger (1887-1979)
Trois pièces pour violoncelle et piano
Vincent d’Indy (1851-1931)
Chant élégiaque – 3ème mouvement du trio pour clarinette, violoncelle et piano op. 29
Gabriel Fauré (1845-1924)
Après un rêve op. 7 n°1 – transcription pour violoncelle et orgue
Olivier Messiaen (1908-1992)
Vocalise-Étude – transcription pour clarinette et orgue

Pensé pour ainsi dire ex nihilo pour la belle église de Vouvant, « petite cité de caractère » aux confins de la Vendée et des Deux-Sèvres, où il trône à même le sol entre nef et bas-côté afin de permettre au public de voir le jeu de l’interprète et faciliter la programmation d’œuvres avec d’autres instruments, voix solistes, chœur ou orchestre, l’orgue Yves Fossaert – 18 jeux réels déployant une palette de 42 registres sur trois claviers et pédalier : un prodige de conception (complexe !) et de réalisation – a vu le jour à l’initiative et par la volonté d’une personnalité ayant occupé des fonctions majeures dans le monde de la musique, et qui à cet effet créa en 2016 l’Association Orgue & Musique à Vouvant : Yves Rousseau (1), mécène de l’instrument – d’ailleurs financé à 85% par quelque 720 dons privés – en lien avec tout ce que la planète orgue compte de beaux noms. Ce petit coin de paradis verdoyant est devenu en quelques années l’épicentre d’une activité musicale, concerts, visites et pédagogie réunis, dont le succès auprès du public ne laisse d’impressionner.

Danse, trio de Eric Lebrun (extrait)

Si cette activité fait vivre le lieu tout au long de l’année, celle-ci trouve naturellement son apogée lors du festival d’été : concerts en juillet et en août le jeudi. L’édition 2026 est d’ores et déjà annoncée, avec sur le versant français Michel Bourcier (cathédrale de Nantes), Véronique Le Guen (Saint-Séverin, Paris), Louis Alix (Saint-Nicolas-des-Champs, Paris), Virgile Monin (organiste en résidence à Vouvant) et Yves Rechsteiner (directeur artistique de Toulouse les Orgues) ; sur le versant invités étrangers Jonathan Scott (Bridgewater Hall, Manchester) et Tom Scott (piano), Jan Liebermann (Munich, vainqueur de nombreux concours internationaux) et Nathan Laube (Eastmann School of Music, Rochester, État de New York). À noter que le festival 2025 jouera d’abord les prolongations, le 20 septembre, lors des Journées européennes du patrimoine : programme haut en couleur de Julien Lucquiaud et Jorris Sauquet (2). 

Orgue et Musique à Vouvant

Cet album s’inscrit dans une collection discographique modeste dans sa présentation (pour une politique tarifaire des plus douces) mais riche de la diversité des répertoires explorés : du concert inaugural (2021) au Carnaval des animaux de Saint-Saëns dans la version à quatre mains de et par Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun, des chefs-d’œuvre symphoniques de César Franck par Jean-Baptiste Courtois au Requiem de Fauré, mais aussi à un récital inventif et singulier de Virgile Monin.

Presque tout dans ce programme est pure découverte, le Fossaert de Vouvant s’affirmant dans son rôle d’accompagnateur inspiré et d’éloquent partenaire chambriste. Acoustique et prise de son chaleureuses nimbent l’auditeur d’une vive aura poétique, cependant que les solistes rayonnent de musicalité et de ferveur instrumentale. L’art du chant y est omniprésent, nourri des lignes suprêmement vocales de la clarinette de Jérôme Hilaire et du violoncelle d’Édouard Sapey-Triomphe. Après un rêve, mélodie de Fauré maintes fois transcrite et ici suivie de l’étonnante Vocalise-Étude pour voix et piano (1935) de Messiaen – qui n’aurait pas à rougir, bien que naturellement très différente, devant la fameuse Vocalise de Rachmaninov de vingt ans son aînée – résume l’esprit, le ton et le style d’un périple au souffle profondément onirique. Car tout ici n’est que rêve, subtilité, chaleur humaine, bonheur de goûter la moindre nuance. Même l’Orphée de Liszt, que l’on connaît symphonique et imposant tant à l’orchestre qu’à l’orgue, se glisse dans cet agencement sonore mêlant force, charme et acuité – l’art de Saint-Saëns, en l’occurrence, à jamais surprenant et imaginatif.

Le titre du CD est aussi celui de l’œuvre en quatre mouvements (2022-2024) commandée à Éric Lebrun, maître d’œuvre de cet album, par Orgue et Musique à Vouvant : les deux derniers y ont été créés par Jérôme Hilaire, Edouard Sapey-Triomphe et Éric Lebrun le 28 juillet 2022, puis l’ensemble proposé par les mêmes musiciens lors du Festival 2025, le 31 juillet. À la fois condensées et généreusement déployées, mystérieuses et séduisantes, contrastées et cependant idéalement enchaînées, hors du temps ou le domptant avec souplesse et éclat, ces pages captivent l’auditeur et l’invitent, même dans la jubilation, à suspendre son souffle et à s’abandonner.

(1https://www.concertclassic.com/article/trois-questions-yves-rousseau-instigateur-de-la-construction-de-lorgue-de-vouvant-vendee
https://www.francebleu.fr/infos/insolite/vendee-il-est-en-train-de-reunir-400-000-euros-pour-construire-un-orgue-dans-l-eglise-de-son-village-1571485506

(2Des pieds et des mains ! – Julien Lucquiaud et Jorris Sauquet, le 20 septembre 2025 à Vouvant
https://orgueetmusiqueavouvant.com/journees-europeennes-du-patrimoine/
Couleurs de Vouvant – Chanteloup Musique, collection Orgue et musique à Vouvant OMV 005
https://www.chanteloup-musique.org/boutique/nos-disques/collection-orgue-à-vouvant
Orgue et Musique à Vouvant : l’orgue Yves Fossaert
https://orgueetmusiqueavouvant.com/l-orgue-fossaert/
Site d’Éric Lebrun
https://www.ericlebrun.com

Photos 
Orgue Yves Fossaert : © Orgue et Musique à Vouvant (site Internet)
Vue aérienne de Vouvant : © A. Lamoureux-Vendée-Expansion

Hampus Lindwall (né en 1976)

Brace for Impact

Hampus Lindwall, orgue Mühleisen (2016), St. Antonius, Düsseldorf-Oberkassel
Stephen O’Malley, guitare électrique *

Brace for Impact (for organ and electric guitar, 2019) *
Swerve (for organ and electronics, 2012-2017)
À bruit secret (for automated organ, 2023)
AFK (for automated organ, 2022-2024)
Piping (2022)

LIVRET ANGLAIS
[version française du texte de Robert Barry]
Durée : 46′ 52″
CD Ideologic Organ SOMA062, 2025

Les Inspirations visibles au Saint-Esprit, Paris

Le 11 juin, Hampus Lindwall donnait un concert en l’église du Saint-Esprit à Paris, tribune qui pendant vingt-neuf ans fut celle de Jeanne Demessieux (1), pour fêter à la fois ses vingt ans de titulariat (7000 messes !) et la sortie le 20 juin d’un nouveau CD : Brace for Impact, en partie évoqué par le programme du concert, Épisode 10 de la série concoctée par Hampus Lindwall et Stephen O’Malley au Saint-Esprit : Les Inspirations visibles. Rappelons que l’orgue (de chœur) de cette immense église en béton, conçue par Paul Tournon dans les années 1930 d’après Sainte-Sophie de Constantinople, est un Gloton-Debierre (17/II+Péd.) conçu par Albert Alain et inauguré en décembre 1934 par son fils Jehan. Le projet initial prévoyait aussi un grand orgue en tribune, projet jamais concrétisé auquel devrait finalement se substituer très prochainement l’installation, après restauration, du grand orgue Rochesson (1940-1951) de l’église Saint-Nicaise de Rouen, aujourd’hui désacralisée (2).

Dernier disciple de Rolande Falcinelli et dès lors formé, on l’imagine aisément, à une stricte et exigeante discipline musicale et instrumentale « académique », Hampus Lindwall demeure avant tout un électron libre de la scène organistique, et « [son] destin aurait pourtant pu être tout autre. Sans un simple coup du sort, celui qui occupe aujourd’hui le banc de l’église du Saint-Esprit à Paris – et collabore ponctuellement avec Phill Niblock, Leif Elggren, Susana Santos Silva, entre autres – aurait très bien pu atterrir dans le monde de la musique pop. Dans les années 1990, alors que la scène club de Stockholm explosait, Lindwall fréquentait les mêmes milieux que les artistes de musique électronique liés aux légendaires studios Cheiron. L’esthétique de la rave des années 90 reste à ce jour une composante importante de son ADN musical. » (Robert Barry)

Orgue et technologies numériques

Hypnotique et déroutant, ce CD Ideologic Organ propose cinq œuvres récentes faisant appel à différentes techniques de jeu et de traitement du son – « à force d’avoir poussé et poussé [ses] recherches », le musicien est parvenu à « une proposition assez radicale ». Selon Robert Barry, ce « pourrait bien être le premier album d’orgue de l’ère post-internet. À l’image d’une performance des artistes néerlandais JODI, c’est un disque nourri par les processus en réseau et la pensée algorithmique, une suite de morceaux qui construisent leurs propres systèmes avant de les pousser jusqu’à la rupture. Lindwall n’est pas programmeur, mais il manie les technologies disponibles comme Chopin exploitait les qualités sonores étendues du piano Érard. Du logiciel qui altère discrètement les textures internes de Swerve et Piping à la panique informatique de AFK et À bruit secret, ce sont des œuvres impensables sans l’expérience omniprésente d’une vie vécue en ligne. Transmettre cette esthétique hypermoderne à travers le son austère d’un orgue baroque ne fait que renforcer cette disjonction temporelle propre à nos journées passées à plonger dans un flot infini de fenêtres de navigateur. Le langage du Web 2.0 se voit ici retranscrit dans l’écriture ornementée d’un manuscrit médiéval enluminé. »

 Les cinq pièces du CD Brace for Impact

Cet album « marque un retour aux obsessions adolescentes de Lindwall […], musique viscérale de quarante-cinq minutes dotée d’une puissance élémentaire indéniable. Brace for Impact (3imagine un scénario historique inversé, un “et si” opposé à la chance qui a marqué la jeunesse de Lindwall : et si Iannis Xenakis n’était jamais devenu l’architecte et compositeur pionnier que l’histoire a retenu, mais avait plutôt fini dans un groupe de metal ? Inspirée du glissando fulgurant qui ouvre Metastaseis (1953–1954), œuvre séminale du musicien grec, la pièce met en regard une série de glissés rageurs sur guitare électrique saturée et distordue (interprétés par le collaborateur Stephen O’Malley, membre fondateur de SUNN O)))) […] pièce électrisante qui assène un coup sec au visage de l’auditeur dès les premières secondes du disque. Mais c’est aussi une étude subtile sur la tension entre courbes analogiques et pas numériques. » Rien au sujet de cette pièce ne l’indique, si ce n’est le titre : « Préparez-vous à l’impact », pas même sa date de composition, 2019, mais il est pourtant impossible de ne pas y entendre, par exemple, le Blitz sur Londres ou le bombardement de Dresde, mais aussi les guerres qui font rage aux confins de l’Europe et au Moyen-Orient, musique à double titre actuelle, « écrite de façon très classique » et enregistrée en deux temps : la guitare en 2022 puis, en re-recording, la partie d’orgue.

Concernant l’instrument, support d’un programme inscrit dans une durée exigeante d’où la musique retire force et endurance : un formidable Mühleisen – pas de la maison alsacienne d’Eschau, créée en 1941 par Ernest Muhleisen (1897-1981), originaire d’Echterdingen au sud de Stuttgart, mais celle de Leonberg, à l’ouest de Stuttgart, créée en 1986 par son neveu Konrad Mühleisen –, il va de soi que le présent album n’a rien d’un portrait d’orgue conventionnel.

Aux échos de musique concrète de Swerve (orgue et électronique) s’ajoute une composante répétitive dont la rythmique est en réalité toujours changeante. L’œuvre est « écrite » au sens où d’autres pourraient aussi la jouer, mais de manière inévitablement personnalisée, l’interprète ayant à gérer en temps réel l’informatique. « J’enregistre d’abord quelques sons précis de l’instrument, puis j’utilise un écran tactile (iPad) pour manipuler le son avec une main pendant que je joue avec l’autre et mes pieds. Je l’avais fait en improvisation pendant longtemps, et Swerve est le résultat de ces recherches. »

Deux pièces sont for automated organ : équipé d’un système MIDI (système de communication utilisé par les synthétiseurs, notamment), le Mühleisen peut être piloté en replay depuis un ordinateur. À bruit secret est constitué de myriades de notes d’une rapidité inouïe de mouvement (accéléré lors de la restitution via l’ordinateur ?), incises brèves aux couleurs chamarrées entrecoupées de silences / suspensions et de contrechamps massifs et dynamiques. AFK enchaîne des sections rythmiques obstinées et multirépétitives où le rythme est sans cesse différemment décliné, de sorte que l’aspect répétitif se double d’un bouleversement continuel, changement obsessionnel dans la continuité la plus mobile et obstinée. Pièce la plus développée, Piping joue avec le temps, sa propre écoute et sa résonnance, des échos de marimba et de vibraphone, jeux de percussion dont le Mühleisen est doté, s’y trouvant comme nimbés d’orgue…

(1) Centenaire Jeanne Demessieux 
https://www.concertclassic.com/article/centenaire-jeanne-demessieux-1921-1968-lhommage-de-hampus-lindwall-et-de-lensemble-vocal

(2) Ancien orgue Rochesson de Saint-Nicaise, Rouen
https://inventaire-des-orgues.fr/detail/orgue-rouen-eglise-saint-nicaise-fr-76540-rouen-stnica1-t

(3) La partition de Brace for Impact a été publiée par Novembre Global Nr 16. 
https://novembre.global/magazine/hampus-lindwall-s-brace-for-impact

Hampus Lindwall : Brace for Impact – Ideologic Organ SOMA062
https://hampuslindwall.com/brace-for-impact
https://www.ideologic.org/release/soma062-hampus-lindwall-brace-for-impact
https://ideologicorgan.bandcamp.com/album/brace-for-impact

Hampus Lindwall
https://hampuslindwall.com

Les trois orgues Mühleisen (Leonberg, Bade-Wurtemberg) de l’église St. Antonius de Düsseldorf-Oberkassel :

Hauptorgel (orgue principal, en tribune) – 69/IV+Péd. (2016)
https://orgelbau-muehleisen.de/de/projekt/kath-pfarrkirche-st-antonius-hauptorgel-duesseldorf-oberkassel

Fernwerk ou « clavier de lointain » (au-dessus de la coupole de la croisée) – 8/I (2018)
https://orgelbau-muehleisen.de/de/projekt/kath-pfarrkirche-st-antonius-fernwerk-duesseldorf-oberkassel

Chororgel (orgue de chœur) – 20/II+Péd. (2012)
https://orgelbau-muehleisen.de/de/projekt/kath-pfarrkirche-st-antonius-chororgel-duesseldorf-oberkassel

Photos de St. Antonius, Düsseldorf-Oberkassel : © Mühleisen Orgelbau

Stephen-OMalley-Pole-Nord-Studio-Paris-18.VI.2022

Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Intégrale de l’Œuvre pour clavier, Vol. 10

Benjamin Alard 

* Clavecin Philippe Humeau (Barbaste, 1993) d’après Carl Conrad Fleischer (Hambourg, 1720), avec pédalier de Quentin Blumenroeder (Haguenau, 2017) ; deux clavicordes associés d’Émile Jobin (Boissy-l’Aillerie, 2018) d’après Christian Gottfried Friederici (Gera, 1773) et Jean Tournay (Noville-les-Bois, 1996) d’après David Tannenberg (Lititz, fin XVIIIe), avec pédalier de Quentin Blumenroeder (Haguenau, 2021)

** Clavicorde Johann Adolf Hass (Hambourg, 1763), Musée instrumental de Provins 

Gerlinde Sämann, soprano

Six Sonates en trio BWV 525-530 *

Notenbüchlein für Anna Magdalena Bach (Petit Livre d’Anna Magdalena Bach) ** :

Pièces de Johann Sebastian Bach, François Couperin, Carl Philip Emanuel Bach, Christian Petzold, Gottfried Heinrich Stölzel, Georg Böhm, Bernhard Dietrich Ludewig, Johann Adolph Hasse

LIVRET FRANÇAIS / ANGLAIS / ALLEMAND
Durée : 1h 15′ 27″, 1h 15′ 17″, 1h 11′ 05″ (3h 41′ 50″)
3 CD Harmonia Mundi, 2025

Pour cette première occasion d’évoquer l’Intégrale de l’Œuvre pour clavier de Bach par Benjamin Alard (Harmonia Mundi), tous claviers confondus : orgue, clavecin, clavicorde et claviorganum, entreprise unique à ce degré de complétude – Bach y est entouré de précurseurs, contemporains et continuateurs –, aucun orgue à l’horizon dans ce Vol. 10 (à l’instar des Vol. 6, 8 et 9), mais… des œuvres « pour orgue » : les Sonates en trio. Benjamin Alard a en fait déjà enregistré ce cycle à l’orgue, en 2008 (CD repris en 2020, Collection Alpha 71), sur le Bernard Aubertin de Saint-Louis-en-l’Île dont il est titulaire. Orgue qui fête ses vingt ans, tout comme le musicien ses vingt ans de titulariat (1).

Les Sonates en trio par Benjamin Alard à l’orgue

Splendide version, instrumentalement et musicalement accomplie, sur des tempos animés : un juste équilibre entre alacrité de l’articulation et une certaine mais éloquente modération et sagesse, afin de laisser aux voix le temps de s’épanouir – ainsi dans l’Andante de la Sonate IV, qui comme d’autres pièces du cycle (pas seulement les mouvements lents, particulièrement séduisants) se pare d’une pure sensation de nostalgie. À ces tempos répondent des registrations denses et colorées, d’une gravitas qui parfois surprend mais séduit dans ces Sonates, plénitude et assise de l’Aubertin de Saint-Louis-en-l’Île y invitant assurément, qui plus est dans une acoustique qui elle aussi revendique sa propre élocution. 

Les Sonates en trio au clavecin

Plutôt que de proposer une seconde version à l’orgue pour l’intégrale Harmonia Mundi, le musicien explore le cycle sur des instruments, domestiques et d’étude, utilisés par les claviéristes du temps de Bach, à commencer par son fils Wilhelm Friedemann, pour l’éducation duquel il aurait été élaboré.

Comme on ne vient jamais tout à fait de nulle part, cette version n’est pas la première sur instruments à cordes pincées : le clavecin – mais ici aussi frappées : le clavicorde (ce qui par contre semble inédit). En remontant le temps : intégrale à deux clavecins de David Ponsford (transcripteur) et David Hill (Nimbus, 2019) ; arrangement de Hans-Ola Ericsson pour flûte, violon, viole de gambe et clavecin (Euridice, 2011) ; Sonates IV et VI par Yves Rechsteiner au clavecin à pédalier (Alpha, 2008) ; intégrale d’Anthony Newman et Eugenia Zukerman pour clavecin et flûte (Vox Cum Laude, 1984).

Il existe aussi deux intégrales antérieures au clavecin à pédalier : celle de l’organiste suisse Erich Vollenwyder (1921-1997), sur clavecin Neupert (en 16′, 8′ et 4′) d’après un Jean-Henri Hemsch de 1754 (Ex Libris, 1980 + Passacaille BWV 582), mais surtout, en 1966, faisant œuvre de pionnier, celle de l’organiste anglais, naturalisé américain, Edward Power Biggs (1906-1977), qui dès l’orée de l’« historiquement informé » s’intéressa aux instruments anciens et à des conditions de restitution « authentiques ». Ses Sonates (+ Concertos BWV 592 & 593, CBS Columbia Masterworks, en CD dans la collection Essential Classics de Sony, 1998) est librement accessible sur le site américain Internet Archive (2) et mérite le détour, accessoirement pour mesurer le chemin parcouru en six décennies – un autre album au clavecin à pédalier réunissait PassacailleToccata et fugue BWV 565, Fantaisie et fugue BWV 542, Préludes et fugues BWV 539 & 541. Solidement ancré et sonore, l’instrument (également en 16′, 8′ et 4′) touché par Power Biggs, un John Challis (1907–1974), facteur américain, construit en 1966 précisément pour Power Biggs et sur lequel il enregistra aussi… Scott Joplin !, offre encore un lointain écho des Pleyel de Wanda Landowska et Rafael Puyana, avec comme corollaire une articulation qui se souvient du grand legato mais arbore une diction qui va de l’avant. Il est vrai qu’à l’orgue Helmut Walcha (première « intégrale », 1947-1952) puis Marie-Claire Alain (Saint-Merry, 1954 ; Varde, Danemark, 1959) avaient déjà amplement et magnifiquement montré l’exemple.

Benjamin Alard au clavecin et au clavicorde à pédalier

Trio Sonata No. 6 in G Major, BWV 530, Allegro (Johann Sebastian Bach) – extrait

C’est peu dire qu’un autre monde s’ouvre ici à nos oreilles. La légèreté de touche du clavecin (Sonates IIIV) va de pair avec une sonorité affirmée et une richesse harmonique enveloppante, tout en préservant un quelque chose d’aérien, d’immatériel. L’attaque des cordes pincées favorise un détaché du jeu des pieds, mais jamais au détriment de la ligne et du chant. Et plus encore aux deux clavicordes superposés, modernes mais inspirés de l’ancien (Sonates IVVIIII – dans l’ordre du CD) – Lento de la Sonate VI, à la goutte d’eau, plus mystérieux et aventureux que jamais. La (relative) non-tenue du son, contrairement à l’orgue bien sûr, déplace à l’occasion l’équilibre du trio, qui se fait duo – Vivace initial de la Sonate II, mes. 42-45 et 50-53 : une autre écoute, la joute manuelle un instant à découvert, les tenues de pédale s’évanouissant. Elle invite à l’ornementation, pleine de ressources, jamais systématique, tel un effet de surprise, de fraîcheur, d’inattendu, laquelle permet aussi de varier les reprises dans les mouvements lents – des deux parties (Sonate I) ou de la seule première partie (Sonate VI).

Qualités plus encore concentrées au clavicorde, avec ses saveurs de mandoline vivaldienne, de harpe baroque et même de sitar dans les instants les plus diaphanes, suspendus. Énergie et dynamique (assortie de subtiles nuances) ne sont nullement absentes, pour une intimité très expressive évoquant la confidence, douce et franche harmonie d’un consort de violes feutré. L’écoute s’accompagne dès lors d’un surcroît spontané d’attention, du fait d’une présence immédiate des plus prenantes. Tempo (plus doux qu’au clavecin, dont les attaques « mordent » avec plus d’intensité) et articulation sont rehaussés de quasi-suspensions ou interrogations, de transitions fluides délicatement conduites, de retenues des mesures de conclusion. De cette intimité du jeu et de l’écoute résulte une projection intérieure à l’adresse de l’auditeur individuel, non brillamment directionnelle vers un public pluriel, au gré d’un sens de l’écoulement du temps affranchi de toute contrainte. L’équilibre des deux clavicordes et le rapport d’intensité de la pédale façonnent ici un équilibre idéal. L’enjeu de virtuosité, non pas amoindri, passe au second plan, après la poésie du chant, ombre et lumière, cependant que le toucher s’accompagne, quasi-parente de l’inégalité expressive du Grand Siècle français, d’une agogique plus sensible au clavicorde, comme si le contact encore plus direct avec la touche et la corde incitait irrésistiblement l’interprète à parler à la première personne.

Le Notenbüchlein für Anna Magdalena Bach sur clavicorde historique

Ce qui précède vaut pleinement pour le Notenbüchlein. L’amateur peu coutumier du clavicorde, réputé (à double sens) pour sa faible projection dynamique, pourrait se dire : deux généreux CD sur un instrument aussi intimiste… Crainte infondée, tant cette intimité non exclusive d’une vraie présence captive et retient l’attention. La beauté de timbre et les nuances auxquelles convie l’instrument, mais aussi la grande variété des pièces vivifient l’écoute. Instrument de l’âme, dont on comprend que Bach l’ait tant prisé. Sur plusieurs de ses albums précédents, Benjamin Alard joue le grand clavecin à trois claviers (1740) du facteur hambourgeois Hass, le père : Hieronymus Albrecht (1689-1752), exact contemporain de Bach, instrument des collections du Musée instrumental de Provins ayant appartenu à Rafael Puyana. Pour le Notenbüchlein, Benjamin Alard a choisi un clavicorde de 1763 de Hass fils, Johann Adolf (1713-1771), également conservé à Provins. Cet instrument a quant à lui appartenu à « un célèbre pionnier de la musique ancienne, Arnold Dolmetsch, et [a été] restauré dans son atelier à Londres entre 1894 et 1895 ». Dolmetsch, auprès duquel John Challis, évoqué plus haut, fit une partie de son apprentissage. Tout se tient et s’enchaîne, une boucle. Cette merveille d’instrument n’est que beauté et plénitude, sans lassitude.

Les pièces (dont l’Aria des Goldberg) sont bien sûr en majorité de Bach, mais aussi de Carl Philipp Emanuel et même de François Couperin, ainsi que d’autres maîtres – on y trouve le fameux Bist du bei mir de Stölzel. Nombre de celles traditionnellement attribuées à Bach sont sans doute anonymes. À maintes petites pièces plongeant l’auditeur au cœur du Musizieren tel que la famille Bach pouvait le pratiquer (Hausmusik ou musique domestique), et que l’on pourrait extrapoler à la société éduquée et mélomane de ce temps, répondent les chorals qui parsèment le recueil, ici chantés avec simplicité et ferveur par Gerlinde Sämann, telle Anna Magdalena (seconde épouse de Bach) dans sa sphère privée. Ces pièces simples, presque un canevas, servent souvent de base à un déploiement d’apparence improvisée, selon la fantaisie de l’interprète. Ce recueil n’en est pas moins ponctué de versions premières d’œuvres majeures de Bach : Suites françaises n°1 et 2, Partitas n°3 et 6 !

Un formidable Vol. 10, à savourer au rythme d’une écoute libre et attentive.

(1https://www.concertclassic.com/article/benjamin-alard-saint-louis-en-lile-vingt-ans-deja-compte-rendu

(2https://archive.org/details/cbs-s-77211-bach-j.s.-o-sonates-en-trio-z.-power-biggs/CBS+S+77211•f1.wav

JS Bach – Intégrale de l’Œuvre pour clavier, Vol. 10 – Livret
https://www.harmoniamundi.com/wp-content/uploads/2025/01/902495.97_booklet.pdf

Les Vol. 1 à 9
https://www.harmoniamundi.com/thematique/bach-lintegrale-de-clavier-benjamin-alard_110_fr

Benjamin Alard + ensemble de sa discographie Harmonia Mundi
www.benjaminalard.net
www.harmoniamundi.com/artistes/benjamin-alard/

Portraits de Benjamin Alard : © Bernard Martinez
Photo du clavicorde Johann Adolf Hass : © Musée instrumental de Provins

Charles-Marie Widor (1844-1937)

La grande tradition à Saint-Sulpice au XIXe siècle

Daniel Roth, orgue Cavaillé-Coll (1862), Mark Dwyer et Stephen Tharp, orgue de chœur Cavaillé-Coll (1858) de Saint-Sulpice (Paris), Chœur Darius Milhaud, dir. Camille Haedt-Goussu, Ensemble Dodecamen, dir. Christopher Hyde

Œuvres de Charles-Marie Widor, Philippe Bellenot, Louis-James-Alfred Lefébure-Wely
Improvisations de Daniel Roth

LIVRET FRANÇAIS
Durée : 1h 12′ 49″
JAV Recordings JAV158, 2005 / réédition Aross, 2025

La Messe en fa dièse mineur op. 36 de Charles-Marie Widor est, sur le versant choral, l’œuvre phare de sa longue présence à Saint-Sulpice. Enregistrée début juillet 2005 pour le label new-yorkais JAV Recordings (initiales du producteur Joseph Anthony Vitacco III, label auquel on doit notamment la découverte d’instruments construits par Skinner et Aeolian-Skinner), cette gravure vient d’être rééditée par l’Aross (1) à l’occasion de la reprise de l’œuvre en concert à Saint-Sulpice le 18 mai 2025 (2).

Ce qui aujourd’hui signifie une mise en œuvre de moyens tout à fait exceptionnels était pour Widor ce dont il pouvait commodément disposer – un autre temps. L’œuvre a en effet été spécifiquement composée pour un double chœur : à l’époque les quelque deux cents voix des séminaristes du Grand Séminaire, alors place Saint-Sulpice, dont la ligne unique est globalement indiquée « Barytons » sur la partition (3), donc une majorité écrasante de voix d’hommes, et les quarante voix de la Maîtrise, soit les quatre parties usuelles, spécifiées « sopranos, contraltos, ténors, basses », tous portés et accompagnés par les deux orgues Cavaillé-Coll, parvenus jusqu’à nous intacts. Si numériquement le récent concert de Saint-Sulpice (250 chanteurs !) renouait avec les effectifs de l’époque, la participation de chœurs principalement mixtes influe nécessairement sur la restitution, de même pour les enregistrements parus au fil du temps. Sans surprise, ce répertoire semble davantage prisé à l’étranger, de la cathédrale de Cologne à celle de Westminster (catholique) à Londres pour Widor – ici restitué, comme il se doit, avec prononciation gallicane des textes latins. Le présent enregistrement, le seul réalisé à Saint-Sulpice de cette Messe d’apparat, renforce la composante « voix d’hommes dominantes » par l’ajout au Chœur Darius Milhaud (fondé à Paris en 1972 par le compositeur Roger Calmel et riche d’une soixante de voix mixtes) de l’Ensemble Dodecamen (également parisien et créé en 1998, constitué de douze à vingt voix d’hommes) – tous amateurs de haute tenue.

Si la Messe de Widor est monumentale par ses effectifs et le caractère grandiose des interventions du grand orgue, l’orgue de chœur accompagnant à proprement parler les voix (celui de tribune reste d’ailleurs muet dans l’Agnus Dei), elle n’en est pas moins concise (16′ 30″). L’usage veut qu’elle soit précédée et ponctuée d’improvisations au grand orgue, comme le fait ici Daniel Roth avec panache et une parfaite adéquation stylistique, sans renoncer à sa touche personnelle, l’ampleur de ses improvisations étant chaque fois proportionnée à celle des pages vocales auxquelles elles se réfèrent.

Offertoire improvisé (Daniel Roth au grand orgue de St-Sulpice) – extrait

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L’ensemble du programme offre la restitution grandeur nature d’un office solennel à Saint-Sulpice. Introduite par une sonnerie de cloches captée depuis l’intérieur de l’église (Carillon enregistré le 15 août 2005), la Messe est donc précédée d’un Prélude improvisé et ponctuée d’improvisations tenant lieu tout d’abord d’Offertoire et d’Élévation. Entre ces deux interventions, une première page vocale de Philippe Bellenot (1860-1928), organiste de chœur puis maître de chapelle de Saint-Sulpice (4) : Ave Maria pour chœur mixte et orgue de chœur, touché dans ce programme à la fois par Mark Dwyer et Stephen Tharp, ce dernier, virtuose de renom, ayant aussi gravé pour le même label, en 2002, un récital au grand orgue (JAV130) : Widor, Franck, Saint-Saëns, Roth, Dupré.

Après l’imposante Communion improvisée s’élève un O Salutaris de Lefébure-Wely, qui à son tour introduit un Salut du Saint-Sacrement. S’y enchaînent, toujours ponctuées au grand orgue d’improvisations de Daniel Roth mettant en valeur avec une poétique inventivité la palette du Cavaillé-Coll, des pages vocales pour chœur mixte ou voix d’hommes accompagnées par l’orgue de chœur uniquement, dont un Tantum ergo de Bellenot. Le programme se referme sur trois pages données lors de la cérémonie de reconsécration, le 29 novembre 1926, de l’orgue de tribune relevé («…un dépoussiérage, la réfection de la mécanique, le renouvellement des peaux des souffleries et de toute la canalisation électrique qui traverse l’orgue pour éviter tout risque d’incendie… », Daniel Roth, Le Grand orgue de Saint-Sulpice et ses Organistes, La Flûte Harmonique n°59/60, 1991) : Tu es Petrus et un second Ave Maria de Bellenot, puis Quam Dilecta de Widor lui-même, qui requiert la participation des deux orgues. Une page d’histoire musicale puisant à la source même de la tradition de Saint-Sulpice et recréée pour notre temps.

(1) Aross – Association pour le rayonnement des orgues Aristide Cavaillé-Coll de l’église Saint-Sulpice
https://www.aross.fr

(2) Saint-Sulpice, concert du 18 mai 2025
https://www.concertclassic.com/article/la-messe-pour-deux-choeurs-et-deux-orgues-de-widor-saint-sulpice-affluence-record-et-grand

(3) Charles-Marie Widor : Messe op. 36 (partition)
https://vmirror.imslp.org/files/imglnks/usimg/5/5c/IMSLP102778-PMLP210240-Messe_Widor.pdf

(4) Philippe Bellenot (1860-1928)
http://www.musimem.com/bellenot.htm

Charles-Marie Widor : Messe op. 36
https://www.aross.fr/produit/cd-messe-widor/

Les deux orgues Cavaillé-Coll de l’église Saint-Sulpice, Paris :
Orgue de tribune (1862) : https://www.aross.fr/le-grand-orgue/
Orgue de chœur (1858) : https://www.aross.fr/orgue-de-choeur/

Johann Sebastian Bach – Précurseurs et disciples

Œuvres de Georg Böhm, Gottfried August Homilius, Johann Ludwig Krebs, Johann Peter Kellner, Dietrich Buxtehude, Johann Nicolaus Hanff, Johann Sebastian Bach

Jean-Louis Vieille-Girardet, orgue Alfred Kern (1980) de Notre-Dame de la Platé, Castres (Tarn)

LIVRET FRANÇAIS
Durée : 1h 13′ 41″
Côté Ut Dièse CUD 241, 2024

Gottfried August HOMILIUS  (1714 -1785) Choral  Straf mich nicht in deinem Zorn

Inauguré en 1980 mais achevé trois ans plus tard, l’orgue Kern (35/III+Péd.) de Notre-Dame de la Platé, dans son double buffet de style Louis XVI réalisé en 1978 par l’ébéniste et sculpteur castrais Jean Chabbert, fut enregistré en 1990 par Francis Chapelet (Ariane, Collection discographique régionale de Midi-Pyrénées) : généreux programme de musique espagnole sonnant de façon très convaincante. Puis par deux fois, en 1994, dans des répertoires inventifs élargissant sensiblement le portrait : Franck Besingrand (REM) dans un programme Jean Langlais (dont la Suite baroque) complété d’Éclairs d’aube, hommage de l’interprète au maître de Sainte-Clotilde, Jean-Pierre Lecaudey (Pavane) dans un audacieux grand écart musical, de Bruhns, Buxtehude et Bach à Dupré, J. Alain et même Vierne. En raison de problèmes structurels, l’église dut être fermée au public en 1997. Protégé pendant les travaux, l’orgue a retrouvé sa voix grâce au facteur castrais Franz Lefèvre, qui aujourd’hui l’entretient, dans l’église entièrement restaurée (2021).

À la lecture de la composition, et s’agissant d’un Kern, on devine aisément l’adéquation de l’instrument à la musique de Bach, qui bien entendu s’adapte à maintes esthétiques instrumentales. C’est ce versant de l’orgue très polyvalent de la Platé que Jean-Louis Vieille-Girardet illustre ici même. Titulaire émérite du Mutin–Cavaillé-Coll de Sainte-Marie-des-Batignolles à Paris et suppléant à la Madeleine depuis 1980, ce disciple de Michel Chapuis est également cotitulaire du Micot de Saint-Pons-de-Thomières, siège du label Côté Ut dièse pour lequel il a déjà gravé deux CD : Johann Sebastian Bach – L’Art de la Transcription et de la Fugue(2018) et Les Douze Noëls de Louis-Claude D’Aquin (2022). Le présent album réunit des enregistrements de 1994 et 2004, avant et après les longs travaux de réfection de l’édifice. Le double texte joliment concis et éclairant de l’interprète situe chaque compositeur dans son temps avant de présenter les œuvres.

Les Variations de Böhm et les chorals de Homilius, Krebs et Kellner sont de prime abord l’occasion de décliner la palette, avec toutefois presque un « déséquilibre » (en particulier pour Homilius) tenant à une partie de pédale perçue comme sous-registrée – des fonds doux vraiment très doux fragilisant l’étagement des parties du fait d’un soutien en retrait, cependant que le jeu lui-même magnifie l’écriture et le chant. Les œuvres captées en 2004 – par Jean Pallier auquel on doit la belle prise de son du CD de Frédéric Desenclos chez le même éditeur (1) – témoignent aussi d’une distance un peu frustrante dont résulte une présence immédiate amoindrie (à moins que cela ne tienne à l’acoustique, à l’harmonisation de l’orgue, ou tout simplement au désir de l’interprète ?) – sans toutefois nuire à l’intelligibilité, l’articulation et le toucher de Jean-Louis Vieille-Girardet affirmant une acuité et un sens du mouvement communicatifs.

Bach réserve les moments les plus captivants, assortis d’une stimulante prise de risque dont l’esprit juvénile est idéalement en situation. Outre un beau recueil Schübler d’un souple équilibre dynamique, les trois œuvres de jeunesse de ce programme retiennent vivement l’attention : Prélude et fugue en sol mineur BWV 535, d’une faconde, d’une scansion et d’une continuité (échos) engageantes, « petite » Fugue en sol mineur BWV 578, ambitieux et italianisant Prélude et fugue en sol majeur BWV 541 tel que transmis par la copie de Kellner. Le diptyque devient triptyque par l’insertion de l’Andante de la Sonate en trio n°4 BWV 528, qui compte tenu de la distance évoquée se pare en l’occurrence d’un séduisant lyrisme nimbé de mystère. Un riche portrait d’orgue éclairant l’un de ses versants esthétiques, mais aussi de l’interprète, d’une franche et poétique vivacité instrumentale et musicale.

(1Cf. récital Frédéric Desenclos
https://orgues-nouvelles.org/frederic-desenclos/

Johann Sebastian Bach – Précurseurs et disciples – Côté Ut dièse
https://www.coteutdiese.fr/Contenu%20Bach%20La%20Plate.html

Côté Ut dièse – avec les deux précédentes gravures de Jean-Louis Vieille-Girardet
https://coteutdiese.fr

Jean-Louis Vieille-Girardet
https://orgue-saint-pons.org/vieille-girardet.htm

Orgue Kern de Notre-Dame de la Platé, Castres
https://inventaire-des-orgues.fr/detail/orgue-castres-notre-dame-de-la-plate-fr-81065-castr-ndplat1-x

Nicolas Clérambault (1676-1749)

Suites pour l’orgue et le clavecin

Michel Louet, orgue Jean-Loup Boisseau (1978) de la collégiale Saint-Sylvain de Levroux (Indre), clavecin Alain Anselm (2014)

LIVRET FRANÇAIS
Durée : 1h 05′ 40″
Ctésibios CTE 080, 2024

Première Suite en do majeur pour clavecin
Suite du premier ton (mode de ré mineur) pour orgue
Deuxième Suite en do mineur pour clavecin
Suite du deuxième ton (mode de sol mineur) pour orgue

1502 : encore gothique, le buffet de Levroux est l’un des plus anciens de France. Sans doute à l’origine dans le chœur de la collégiale, l’orgue, plusieurs fois relevé, est installé sur sa tribune en 1780. Après l’effondrement de la voûte qui le ruine en 1850 (ou dès le transfert de 1780 ?), les proportions du buffet sont altérées, passant d’un douze pieds à un huit pieds. Joseph Merklin y construit un petit orgue de treize jeux en 1860. La partie instrumentale (aujourd’hui 25/III+Péd.) est entièrement reconstruite en 1977-1978 par Jean-Loup Boisseau assisté de Bertrand Cattiaux et Jean-Paul Édouard, l’orgue étant inauguré par Marie-Claire Alain. Ce Boisseau a été enregistré dès avril 1979 par Jean Boyer : Livre d’orgue de Nicolas de Grigny (Stil, 1980, repris en CD en 1996 – malheureusement introuvable, éternel problème avec le pourtant passionnant catalogue Stil). Également titulaire de Notre-Dame de Châteauroux (un Cavaillé-Coll tardif reconstruit par Robert Boisseau, relevé une première fois par son fils Jean-Loup et Bertrand Cattiaux), son titulaire Michel Louet y enregistre en 2000, pour fêter avec un peu d’avance les 500 ans du buffet, un CD Marchand-Guilain (Lancosme Multimédia LM 03) : « les bénéfices de la vente [ont] permis la construction du 3ème clavier de Récit en 2008 ; un don privé a permis la réalisation d’une tirasse au pédalier ». Un relevage par la manufacture Béthines les Orgues a eu lieu en 2021, avec inauguration le 24 octobre par Michel Louet.

Projet caressé de longue date avec Pascal Oosterlynck (Ctésibios), Michel Louet a pu graver en 2023 pour le clavecin (installé dans la sacristie de la collégiale) et 2024 pour l’orgue les deux Livres (1704 et v.1710) de Nicolas Clérambault (lui-même n’aurait utilisé que ce prénom, à la différence du Louis-Nicolas d’usage), chacun qualifié de Premier Livre bien que sans suite, cas nullement isolé dans la musique du Grand Siècle. Cette parution rend hommage à Jean-Loup Boisseau (1940-2023), ainsi qu’à son fils Jean-Baptiste (1965-2022), artisan du relevage de 2021 avec Jean-Marie Gaborit, qui entretient l’instrument et l’a magnifiquement préparé pour cet enregistrement.

Versant clavecin, l’interprète a opté pour un deux claviers de type français XVIIe construit en 2014 par Alain Anselm (1), bénéficiant ici d’une prise de son d’une chaleureuse proximité ; pour l’orgue, celui de Levroux est très exactement pensé pour la musique française du tournant des XVIIe et XVIIIe siècles. L’un et l’autre « sont accordés un ton plus bas que notre diapason moderne, soit la = 392hz : c’était en France le « ton de chapelle ». […] Après quelques essais au gré des différents accords ces quarante dernières années, l’orgue de Levroux est arrivé à un type d’accord où cinq tierces sonnent quasi pures et les sept autres s’agrandissent progressivement ; ainsi peut-on s’éloigner vers des tonalités étrangères aux tons de l’église […]. Au clavecin la problématique est tout autre qu’à l’orgue, où l’accord est fixé pour le long terme […] Pour l’enregistrement des œuvres de Clérambault j’ai ainsi accordé le clavecin en mésotonique à huit tierces pures pour la Suite en do majeur : les tierces sur fasollasi ♭, domi♭ et mi étaient pures, aucune autre tierce majeure n’étant requise dans cette Suite. La Suite en do mineur (tonalité exceptionnelle en France en 1704) ne comporte aucun do ♯ ni aucun sol ♯, j’ai donc choisi de partir du précédent accord et de remplacer les sol ♯ par des la ♭ et les do ♯ par des ré ♭, afin de « dramatiser » un peu plus certaines tierces mineures. » Au tempérament strictement sur mesure ainsi obtenu répondent une robustesse et un délié du jeu apportant vie et faconde, l’un des beaux temps forts de ces Suites étant le Prélude non mesuré de la seconde.

À l’instar du type d’accord évoqué par l’interprète, l’alternance du clavecin et de l’orgue vivifiant à loisir l’écoute tandis que le diapason bas de l’orgue compense en partie l’absence d’un Bourdon de 16 au manuel, la modification de 2008 a sensiblement renforcé l’adéquation entre le Livre de Clérambault et la palette du Boisseau (avec un tremblant des plus souples et équilibrés) : le Cornet du grand clavier transféré au Récit alors nouvellement créé avec sa mécanique permet de jouer de manière naturelle certaines pages en dialogue de la Suite du premier ton : Basse et dessus de Trompette ou de Cornet séparéRécits de Cromorne et de Cornet séparé et Dialogue sur les grands jeux final. On notera pour la Fugue de cette même première Suite que Michel Louet opte pour une registration sur jeux de fonds, lumineux et d’une grande intelligibilité, en lieu et place des anches traditionnelles. Dans la Suite du deuxième ton, mention particulière pour l’ineffable poésie des Flûtes et du Récit de Nazard, dont le chant pur et très allant s’épanouit sans contrainte dans une acoustique favorable idéalement captée, avec mise en relief de la gradation des plans sonores.

(1https://clavecin-en-france.org/spip.php?article57

Disques Ctésibios
https://www.ctesibios.fr

Pour les photos de l’orgue (travaux de 2021) : © Ville de Levroux (Patrimoine) ; elles figurent sur la page Facebook de la Ville de Levroux (20 août 2021) – Le point d’orgue de la restauration
https://www.facebook.com/Levroux36/posts/4054213758037392/

COMPOSITION DE L’ORGUE BOISSEAU (1978) DE LEVROUX

Œuvres pour instruments et orgue

Giovanni Panzeca, orgue Tamburini (1966/2009) de San Antonio de Casale-Monferrato (Piémont)

Anaïs Drago (violon), Elisa Gremmo (flûte traversière), Riccardo Ceretta et Diego Di Mario (trombones), Mattia Gallo et Mauro Pavese (trompettes)

LIVRET FRANÇAIS / ITALIEN / ALLEMAND
Durée : 1h 10′ 51″
Cascavelle VDE-Gallo VEL 1700, 2024
https://vdegallo.com/fr/produit/nadia-boulanger-rene-gerber-schule-oeuvres-pour-instruments-et-orgue/
Livret intégral du CD :https://vdegallo.com/wp-content/uploads/2024/10/VEL-1700-Booklet.pdf

Nadia Boulanger (1887-1979)
Trois pièces pour orgue (1911):
I. Prélude – II. Petit Canon – III. Improvisation
Pièce sur des airs populaires flamands (1917)
René Gerber (1908-2006)
Épithalame pour flûte et orgue (1991)
Le Tombeau de Nicolas Grigny (1947) :
I. Sarabande – II. Comptine – III. Berceuse – IV. Ronde
Fête pour 2 trompettes, 2 trombones et orgue (2000)
Pavane pour 3 trompettes et orgue (1941)
Triptyque pour orgue (1943) : 
I. Pastorale – II. Musette sur le nom de BACH – III. Fête
Bernard Schulé (1909-1996)
Métamorphoses sur un Air ancien Op. 51 (1960)

Nadia Boulanger cessa de composer peu après la disparition de sa sœur Lili (1893-1918), se consacrant surtout à l’enseignement, à l’École Normale de Musique de Paris et au Conservatoire américain de Fontainebleau, ainsi qu’à la direction. C’est à Paris qu’elle eut pour élèves les deux compositeurs suisses répondant ici à « l’œuvre d’orgue » de leur professeur. Elle-même organiste, Nadia Boulanger n’a donc laissé pour l’instrument que quatre pièces de jeunesse : trois de 1911 (document joint) parues l’année suivante dans le premier des huit volumes pour orgue ou harmonium (les deux derniers néanmoins avec pédale obligée) des Maîtres contemporains de l’orgue (1) de l’abbé Joseph Joubert (1878-1963), titulaire du Cavaillé-Coll de la cathédrale de Luçon, volume de 78 pièces dédié à Widor. S’y ajoute la Pièce sur des airs populaires flamands (« À ma petite Lili ») publiée en 1917 par Ricordi (Paris). D’une écriture dense et complexe, rythmiquement exigeante, de caractère sombre et tendu, non sans mystère, les Trois pièces étonnent de la part d’une musicienne de vingt-quatre ans que n’avait pas encore affectée la mort prématurée de sa cadette. Il en va de même de la pièce de 1917, la dernière section exceptée, d’une soudaine vivacité de ton, mais couronnée d’une brusque péroraison acérée.

Les Trois pièces ont été gravées par Simon Defromont et Marie-Louise Tocco en 2021 pour Chanteloup Musique dans le contexte d’un projet pédagogique du Conservatoire de Saint-Maur-des-Fossés : vol. 1 de Singulièrement plurielles, l’orgue et treize compositrices au fil du temps (2). Paul Jacobs les avait gravées pour Naxos en 2015 à l’orgue Schantz du Gesu de Milwaukee, ou encore François-Henri Houbart à la Madeleine, contribution au double CD Delos Mademoiselle – Première Audience (2017), avec la pièce de 1917 – enregistrée par Olivier Vernet à Monaco (Ligia, 2009). Sur un Tamburini de qualité à la palette ronde et corsée, la présente version de Giovanni Panzeca renforce la gravité de cette musique, jusqu’à une indéniable grandeur, la dimension symphonique mise en œuvre avec droiture et profondeur confortant la primauté de l’orgue sur l’harmonium.

Si les pages de Nadia Boulanger, à défaut d’être souvent jouées, ne sont pas une découverte pour l’auditeur français, il n’en va pas de même des œuvres de René Gerber (3) et de Bernard Schulé, qui se retrouvèrent dans la même classe de Nadia Boulanger. (Sans que l’on puisse établir un véritable parallèle esthétique, leurs années de formation les placent dans la génération, versant français, d’un Jean Langlais ou d’un Gaston Litaize, passés par le Conservatoire de Paris.)

À la tête d’un catalogue d’une grande diversité (où l’intitulé Fête revient à maintes reprises), dont deux opéras d’après Shakespeare sur ses propres livrets (Roméo et Juliette, opéra en 4 actes, 1957-1961 ; Le Songe d’une nuit d’été, opéra-féerie en 4 actes et 1 prologue, 1978-1981), René Gerber arbore une belle discographie chez Gallo (4). D’une noble consonance n’empêchant pas de piquantes recherches harmoniques, d’un sens de la phrase et de la mélodie largement déployées (lumineux Épithalame), sa musique séduit par une plénitude et un lyrisme qui resplendissent tout particulièrement dans les œuvres avec cuivres – excellents solistes, membres de formations de premier plan en Italie. La manière du musicien n’y offre pas d’évolution marquée si l’on en juge, sans rupture, par les climats de Pavane (1941) et de Fête (2000). Le Tombeau de Nicolas Grigny, compositeur qui sans doute n’était pas le pain quotidien des organistes en 1947, étonne par la distance qu’il entretient avec le style français du temps de Louis XIV – quatre « miniatures » ancrées dans leur propre temps, non sans charme et fraîcheur.

À l’équilibre singulier du Triptyque de René Gerber répond une page ambitieuse de Bernard Schulé, connu en Suisse dans les années 50 et 60 pour ses musiques de films (5). Ses Métamorphoses se parent d’une écriture ferme et nourrie se pliant à une esthétique post-symphonique « moderne », variations contrastées quant à la forme renfermant au cœur de l’œuvre une section dont la douce retenue force l’attention. Une fanfare, fugato enlevé, puis une grande progression par l’écriture et la dynamique referment avec force cet intéressant programme.

(1) Abbé Joseph Joubert : Maîtres contemporains de l’orgue (590 pièces), Éditions Maurice Sénart, Paris, 1912-1914
https://fr.wikipedia.org/wiki/Maîtres_contemporains_de_l%27orgue#Premier_Volume_—_École_Française

Les huit volumes in extenso sur le site IMSLP
https://imslp.org/wiki/Maîtres_contemporains_de_l’orgue_(Joubert%2C_Joseph)

(2Singulièrement plurielles (vol. 1)
https://www.chanteloup-musique.org/boutique/nos-disques/notre-catalogue-orgue

(3) René Gerber, biographie et catalogue des œuvres
https://www.musicologie.org/Biographies/g/gerber_rene.html

(4) Discographie Gallo des œuvres de René Gerber
https://vdegallo.com/fr/vde_composers/rene-gerber

(5) Bernard Schulé musiques de films
https://swissfilmmusic.ch/wiki/Bernard_Schulé

Œuvres pour instruments et orgue – CD Cascavelle – VDE-Gallo
https://vdegallo.com/fr/produit/nadia-boulanger-rene-gerber-schule-oeuvres-pour-instruments-et-orgue/

Livret intégral du CD :
https://vdegallo.com/wp-content/uploads/2024/10/VEL-1700-Booklet.pdf

Jean-Charles Ablitzer

Musique d’orgue en Bourgogne, Franche-Comté, du baroque au préromantisme, et dans l’Espagne des Habsbourg

Œuvres de Claude Balbastre, Antonio et Hernando de Cabezón, Antonio Martin y Coll, Gaspar Sanz, Jacques Louis Battmann

Orgue Verschneider (1854) de Saint-Laurent d’Ornans (Doubs)

LIVRET FRANÇAIS
Durée : 1h 8′
L’entretien des Muses VOC 10754, 2024

Produit par L’entretien des Muses – réminiscence du clavecin de Rameau et, à sa suite, des Chroniques de poésie de Philippe Jaccottet –, association des arts du spectacle vivant sise à Ornans, ville natale du peintre Gustave Courbet, ce portrait d’instrument entre classicisme et romantisme réserve d’étonnantes surprises. Où l’on passe pour ainsi dire du local au quasi-universel, de façon inattendue mais convaincante sur le plan instrumental, et naturellement musical. Il est vrai que cette terre d’Empire était aux confins de la France et du Saint Empire, Flandres et Espagne comprises. Titulaire de la merveille elle-même très polyvalente de Saint-Christophe de Belfort, Jean-Charles Ablitzer convie à un voyage dans le temps et l’espace qui, proposé sous forme d’écoute en aveugle, en confondrait plus d’un…

De Balbastre : Manuscrit de 1749…

Si le baroque allemand y tient une place de premier plan (intégrale Buxtehude, Bach à Aubusson ou Goslar…), sa discographie fait aussi une place de choix aux classiques français : Couperin, Dandrieu, Titelouze, Dumage, Noëls. Ce Balbastre hors Noëls y apparaît pour la première fois : les emprunts au Manuscrit « de Dijon » ou « de Versailles » (1), où il a été retrouvé, œuvre d’un Balbastre de vingt-cinq ans rarement enregistrée – Bruno Beaufils en a gravé quelques pages à Bourges (Disques Prestant DPBB001, 1997) – rendent ici audible le décalage esthétique qui se fait alors jour dans l’orgue français, l’esprit d’un Grigny relevant déjà d’un autre temps. Ce que traduit superbement le Verschneider d’Ornans (2), qui a tout ce qu’il faut pour colorer ce répertoire tout en sonnant autrement qu’un orgue purement classique. On touche ici du doigt, ou de l’oreille, le passage du temps, le basculement du goût. Un Magnificat complète cette évocation du mitan du XVIIIe siècle en France – Jean-Luc Perrot a consacré à ce recueil de 1750 un CD à la Chaise-Dieu (Association Marin Carouge, 2023), cependant que Lucile Dollat (Tiroirs secrets, Château de Versailles Spectacles) a gravé le Concerto en  majeur du Livre de 1749, le premier jamais écrit en France, déjà proposé par Bruno Beaufils : unique écho des fameux Concertos perdus qui feront la gloire de Balbastre au Concert spirituel.

…à l’orgue ibérique

Le baroque espagnol occupe une place elle aussi essentielle : de Sebastián Aguilera de Heredia et Pablo Bruna sur des orgues historiques d’Espagne à l’accomplissement d’un rêve : créer à Grandvillars (3), sa ville natale, un orgue espagnol très original, inspiré d’instruments du XVIe siècle et jusque vers 1610, entre Renaissance et baroque : Jean-Charles Ablitzer y a enregistré Siglo de Oro, double CD Musique et Mémoire. Plus encore que pour Balbastre, musique française sur un orgue français, même tardif en regard de la musique, les pages espagnoles étonnent et séduisent par la justesse de l’univers suggéré. Anches et cornets y sonnent plus vrais que nature. Cabezón père et fils s’y répondent : célèbre Pavana con su glosa du premier et hommage filial du second : Dulce memoriae. Des pages souvent anonymes réunies par Antonio Martin y Coll sont proposées Folias et Españoleta, archétypes du clavier espagnol sur thèmes populaires. Il en va de même des Canarios de Gaspar Sanz, de sa fameuse Instrucción de música sobre la guitarra española y métodos de sus primeros rudimentos hasta tañer con destreza (trois Livres, 1674-1697), où l’on trouve aussi plusieurs Folias et Españoletas. On sait la double et fréquente destination des livres de musique espagnols du XVIIe, pour clavier et/ou vihuela (entre luth et guitare), légitimant l’adaptation d’une page pour guitare – rendue célèbre par Narciso Yepes. Le regretté Liuwe Tamminga avait gravé pour Accent en 2007 différents Canarios, danse populaire typique de l’archipel, sur plusieurs orgues historiques des Îles Canaries, dont celui de Sanz sur un délicieux orgue-coffre.

Ce portrait insolite mais musicalement cohérent se referme avec Jacques Louis Battmann, originaire d’Alsace, lointain prédécesseur de Jean-Charles Ablitzer à Saint-Christophe de Belfort avant d’être en poste à Vesoul : pages de musique liturgique bien dans l’air du temps, mélodie, romance et opéra étant passés par là, comme dans nombre de pays européens à la même époque. On songe à Lefébure Wely, à Giovanni Morandi ou au Padre Davide da Bergamo, même si invention, fantaisie et mouvement sont ici plus comptés. Tout à coup le Verschneider sonne conformément à sa date de construction, avec des fonds lumineux et charpentés, l’équilibre sonore projetant bel et bien l’auditeur en plein XIXe siècle. Alliant charme et diversité, un récital d’une grande et belle adéquation musicale, joli tour de force pour l’instrument et qui le touche, magnifiquement.

(1Livre Contenant des Pièces de different Genre d’Orgue Et de Clavecin PAR Le S.r Balbastre Organiste de la Cathedralle de Dijon (1749), numérisation du manuscrit + mise en forme moderne :
https://imslp.org/wiki/Livre_contenant_des_pièces_de_différent_genre_(Balbastre,_Claude-Bénigne)

(2) L’Orgue historique Verschneider d’Ornans
https://inventaire-des-orgues.fr/detail/orgue-ornans-eglise-saint-laurent-fr-25434-ornan-stlaur1-x

Orgue Verschneider de 1854

(3) L’Orgue espagnol de Grandvillars
https://www.concertclassic.com/article/inauguration-de-lorgue-espagnol-de-grandvillars-par-jean-charles-ablitzer-le-faiseur-dorgues

Jean-Charles Ablitzer
https://jeancharlesablitzer.fr/index.html
https://musetmemoire.com/ablitzer/

Église Saint-Laurent d’Ornans, Doubs
https://www.patrimoine-histoire.fr/P_FrancheComte/Ornans/Ornans-Saint-Laurent.htm

L’entretien des Muses : 13, rue des Martinets – 25290 Ornans

Night Windows

Lucile Dollat, orgue Grenzing (2015) de l’Auditorium de Radio France
* François Vallet, percussions

LIVRET FRANÇAIS / ANGLAIS
Durée : 1h 12′ 53″
Radio France, collection Tempéraments TEM 316070, 2024

Maurice Ravel (1875-1937) :
Alborada del Gracioso (transcription Lionel Rogg)
Lucile Dollat (née en 1997) :
Songe 1
Thomas Lacôte (né en 1982) :
La nuit sera calme (pour percussion et orgue) *
Lucile Dollat :
Songe 2
Fabien Waksman (né en 1980) :
Night Windows (Three paintings for organ after Richard Pousette-Dart)
Hieroglyph, Black – Genesis, Red – Radiance, Blue
Lucile Dollat : Songe 3
Jehan Alain (1911-1940) :
Aria
Litanies

Miroirs, M. 43 : IV. Ravel, Alborada del gracioso (Transcr. for Organ by Lionel Rogg)

L’orgue Grenzing et la collection Tempéraments

Chaque résidence auprès du Grenzing de l’Auditorium de Radio France donne lieu à un enregistrement de la collection Tempéraments : Thomas Ospital (2016-2019) avec Convergences : Bach, Escaich, improvisations ; Karol Mossakowski (2019-2022) avec Rivages : Bach, Mozart, Mendelssohn, Liszt, improvisations ; Lucile Dollat, en résidence pour la période 2022-2025 (elle est aussi artiste en résidence à la Fondation Royaumont et cotitulaire du Cavaillé-Coll de l’église Saint-Maurice de Bécon, Courbevoie) avec le présent album Night Windows. Ce CD réunit implicitement les trois organistes successifs du Grenzing, reflet de concerts donnés à l’Auditorium par ces trois musiciens, à l’occasion desquels deux commandes de Radio France furent créées (l’une partiellement).

L’acoustique de l’Auditorium, rien de nouveau, n’est guère favorable au Grenzing, lissant une palette pourtant très diversifiée qu’elle restitue de manière frontale, sorte d’uniformisation de l’image sonore avec, selon les situations, une perspective écourtée. On s’y est habitué en concert, d’autant qu’au fil des ans l’instrument semble sonner et affirmer sa présence de manière de plus en plus convaincante – mystère de l’évolution de la matière dans le temps. Au disque, c’est autre chose, et il faut bien reconnaître que le résultat reste mitigé, renforçant la sensation d’un orgue qui vibre peu, perception accentuée par la trop franche rondeur des anches, bien plus anglo-saxonnes que françaises.

Un programme dédié à la nuit

Lucile Dollat ouvre cet album avec la pièce qui refermait son concert de prise de fonction, le 29 septembre 2022 (1) : Alborada del Gracioso des Miroirs de Ravel (Lionel Rogg a aussi transcrit Ma Mère l’Oye), subtil feu d’artifice et cheval de bataille de l’interprète. On retrouve l’acuité voulue via une instrumentation nerveuse, mordante, diffractée en une infinité de touches. Le Grenzing dans un répertoire qui lui convient absolument : la transcription.

Radio France a passé commande de quatre œuvres à Thomas Lacôte : Et l’unique cordeau des trompettes marines (orgue, 2006), Rursum funde (pour six musiciens, 2016), La nuit sera calme (pour percussion et orgue, 2018), La Voix plus loin (pour deux cors et orgue, 2019), donnée en première audition par le compositeur lui-même, le 9 février 2020. Entre-temps, l’organiste en résidence, Thomas Ospital, avait créé La nuit sera calme, le 10 avril 2019. Thomas Lacôte y fait pour la première fois appel à la percussion – Jean-Claude Gengembre lors du concert, ici François Vallet. Thomas Lacôte présente et situe cette pièce au sein de son catalogue dans le programme de salle du concert (document 1). Les sons « nappés » et les tenues qui portent cette étrange et presque inquiétante dramaturgie faussement statique « compensent » d’heureuse manière les contraintes de l’acoustique « boisée » de l’Auditorium. Et rejoignent aussi la propension de l’interprète, bien en situation, à donner du temps à l’acoustique, ici poétiquement soutenue et animée par la vibration et l’ondulation des percussions. Les captivants Songes improvisés préparent et prolongent une atmosphère irréelle, le deuxième ajoutant l’écho d’une insolite animation nocturne, le dernier une dimension de « poétique stellaire ».

Karol Mossakowski, son dédicataire, créa quant à lui Radiance, Blue de Fabien Waksman : « voyage qui me semble être tout autant cosmique qu’intérieur, nous menant d’un bleu profond vers une lumière intensément blanche », le 22 décembre 2020 (2), dernier volet de Night Windows – sa première œuvre pour orgue, commande de Radio France, inspirée de Richard Pousette-Dart (1916-1992), « peintre américain rattaché au mouvement de l’expressionnisme abstrait dont faisaient notamment partie Pollock et Rothko ». Sauf erreur, les pièces I & II – Hieroglyph, Black (« à Lucile Dollat ») : « une rêverie cosmique », et Genesis, Red (« à Thierry Escaich ») : « magma sonore à très grande vitesse » – n’ont pas été créées en public. Le compositeur retrace dans le programme de salle du concert (document 2) la genèse de ce triptyque que Lucile Dollat fait entendre pour la première fois dans son intégralité, œuvre dense, habitée et virtuose mettant idéalement en valeur l’instrument et l’interprète.

Lors de son concert de 2022, Lucile Dollat avait joué, de façon très personnelle, le chef-d’œuvre de Jehan Alain : les Trois Danses(document 3). Pour refermer ce CD éminemment pluriel, son choix s’est porté sur deux pages contrastées du musicien (3) : jeu clarissime détaillant la complexité rythmique de l’Aria, dramatisme de Litanies aux rythmes ici « heurtés » dynamisant la projection de l’instrument.

Le 19 avril 2025 (4), Lucile Dollat donnera à l’orgue Grenzing un concert faisant entendre, au côté de Bach, de Marc-André Dalbavie et d’improvisations (y compris avec percussions, occasion de retrouver François Vallet mais aussi Florent Jodelet), la compositrice Elsa Barraine (1910-1999) – extrait de Musique rituelle pour orgue, gong, tam-tam et xylo-rimba (1967) –, qui sera au cœur du prochain CD Tempéraments de Lucile Dollat, présenté à l’occasion de ce concert. 

(1) Lucile Dollat – concert de prise de fonction à Radio France, compte rendu
https://www.concertclassic.com/article/lucile-dollat-radio-france-la-nouvelle-organiste-en-residence-inaugure-la-saison-dorgue

(2) Fabien Waksman – Radiance, Blue, création par Karol Mossakowski à Radio France (vidéo)
https://www.youtube.com/watch?v=SInfwvHgimQ

(3) Rappelons la réédition de l’ouvrage de référence sur le musicien : Jehan Alain – Biographie, correspondance, dessins, manuscrits, Aurélie Decourt-Alain, coédition Association Jehan Alain (Suisse) / Orgues Nouvelles (2023)
https://orgues-nouvelles.org/produit/jehan-alain/

(4) Concert Radio France du 19 avril 2025 – Elsa Barraine
https://www.maisondelaradioetdelamusique.fr/evenement/bach-dalbavie-barraine-lucile-dollat?s=774264#content-page

Night Windows – Lucile Dollat – CD Radio France, collection Tempéraments
https://www.radiofrance.com/presse/editions-radio-france-cd-night-windows-lucile-dollat-collection-temperaments

Teaser sur YouTube
https://youtu.be/ff4tR42Ca9E

Orgue Grenzing (2015) de l’Auditorium de Radio France
https://www.radiofrance.com/lorgue-de-lauditorium-de-radio-france

Lucile Dollat présente l’orgue Grenzing 
https://www.youtube.com/watch?v=tQS_UZFZZ8M

Lucile Dollat
https://luciledollat.fr

Saison d’orgue de Radio France
https://www.maisondelaradioetdelamusique.fr/genre/orgue

Radio France, collection Tempéraments
https://www.radiofrance.com/les-editions/collections/temperaments