SORTIES CD

Par Michel Roubinet

Monaco – Le monde des orgues

Petite chronique monégasque…

> Henri Carol et Olivier Vernet, orgues Boisseau (1976) et Thomas (2011) de la cathédrale de Monaco 
> Franck Barbut, orgue Tamburini (1989) de Saint-Nicolas de Myre (Fontvieille)
> Silvano Rodi, orgue Francesco Zanin (2013) de Sainte-Dévote
> Jean-Christophe Aurnague, orgues Brondino – Vegezzi-Bossi (2016-2020) du Sacré-Cœur ; Tamburini (1979) de Saint-Charles ; Danion-Gonzales (1976) de Saint-Martin
> Noël Guy Fornari, orgue Tschanun (1929, modernisé par Saverio Tamburini, 2016) de St Paul’s Church
> Pierre Debat, orgue napolitain (XVIIIe siècle, installé en 1984) de la chapelle palatine Saint-Jean-Baptiste
> Jean-Cyrille Gandillet, orgue Cavaillé-Coll de la chapelle des Carmes (1873, installé en 1926, restauré en 2003 par Thomas et installé dans la nouvelle chapelle Sainte-Thérèse, restauré en 2020 par Brondino – Enrico Vegezzi-Bossi)
> Benjamin Prischi, orgue Tamburini (1995) de l’Église réformée
> Un élève à l’orgue Antoine Bois (2005) de l’Académie de Musique Rainier III

Œuvres de Claude Balbastre, Fortunato Chelleri [Keller], Percy Fletcher, Andreas Kneller, Henri Carol, Johann Gottfried Walther, Louis-James-Alfred Lefébure Wely, Joseph-Guy Ropartz, Vincent Lübeck, Francisco Peraza, William Walker, Franck Barbut, Théodore Dubois, Malcolm Archer, Michel Corrette, Craig A. Penfield, Girolamo Frescobaldi, Johann Nikolaus Hanff, Friedrich Gernsheim, Otto Dienel, Jan Pieterszoon Sweelinck, Jean-Christophe Aurnague, Giuseppe Mariani.

LIVRET FRANÇAIS
Durée : 1h 12′ 06″, 1h 15′ 06″
2 CD Ahimsa Record Productions, 2025
Patrick Scotto, producteur, ingénieur du son, montage numérique, édition, masterisation
14, chemin de la Turbie – 98000 Monaco-Monte-Carlo – scotto.patrick98@gmail.com

Le Grand Livre de l’Orgue à Monaco – XVIIe-XXIe siècle

En 2020 paraissait chez Privat (collection Patrimoine) un ouvrage somptueux, érudit, passionnant et richement illustré (près de trois kilos !) : Le Grand Livre de l’Orgue à Monaco – XVIIe-XXIe siècle, lequel ne figure pas, présentement, sur le site de l’éditeur toulousain, mais peut aisément se trouver. Signée Claude Passet et Silvano Rodi, cette somme offre un inventaire complet des orgues de la Principauté à travers l’histoire des lieux, leurs titulaires au fil du temps n’étant pas oubliés. Très marqué par la facture italienne, ce patrimoine compte actuellement seize instruments, récents pour ce qui est des plus importants, et offre une belle diversité esthétique : de l’orgue italien « élargi » de Saint-Charles au baroque allemand de Sainte-Dévote ou à l’orgue composite sonnant « français » du Sacré-Cœur, dernier ajout en date au patrimoine monégasque, en passant par l’esthétique romantique des Carmes, post-symphonique avec un rien de néoclassique de St Paul’s et naturellement plus que polyvalente du monumental orgue Thomas de la cathédrale.

Rappelons que le même Silvano Rodi, avec René Saorgin (1928-2015, titulaire de 1984 à 2005, à la suite du chanoine Henri Carol, des orgues de la cathédrale de Monaco), a publié en 2003 aux Éditions du Cabri un autre ouvrage de référence : Orgues historiques des vallées de la Roya et de la Bévéra / Organi storici delle valli Roya e Bevera (1), livre bilingue, lui aussi superbement illustré, invitant le lecteur à découvrir un patrimoine haut en couleur, au-delà des orgues célèbres de La Brigue, Saorge ou Tende (dès 2002 avait été créé un Festival international des Orgues historiques de la Roya-Bévéra). En 2003 également, Ligia Digital publiait un double CD : La Route des Orgues – Voyage musical dans les vallées de la Roya et de la Bévéra, avec Michel Colin, Silvano Rodi et René Saorgin aux orgues de Breil-sur-Roya, Fontan, Airole, Saorge, La Brigue, Tende, Sospel et Ventimiglia.

Monaco – Le monde des orgues

Ce qui manquait au Grand Livre de l’Orgue à Monaco, dépourvu de CD, c’était de faire entendre les instruments. C’est la mission que s’est donnée ce double album autoproduit par Patrick Scotto, lequel dédie ces enregistrements à Stefan Kudelski (1929-2013), inventeur du Nagra – synonyme de liberté de la prise de son en itinérance –, Patrick Scotto ayant lui-même utilisé deux Nagra 6 pour cet album. Si le livret retrace le parcours des interprètes en regard des instruments (sans autres précisions) dont ils sont titulaires, il oblige l’auditeur à confronter sans cesse verso et intérieur du livret pour savoir qui joue où – les noms des interprètes ont été ici ajoutés au verso.

Une question sans vraie solution satisfaisante va de pair avec ce type d’anthologie : vaut-il mieux faire entendre les instruments en bloc, l’un après l’autre, par souci d’unité de l’écoute, ou bien panacher, comme c’est ici le cas, passant d’orgue en orgue et y revenant à plusieurs reprises ? Si les prises de son, assez proches et frontales, riches sur le plan harmonique, sont larges et ouvertes avec beaucoup de rondeur et d’assise, elles gomment toutefois, par un effet de loupe, la distance qui permettrait d’individualiser les instruments et la manière dont ils sonnent dans leurs acoustiques respectives, si différentes, ne serait-ce que par le volume contrasté des lieux. Il en résulte une quasi-uniformisation, une présence « excessive » au premier plan, sans laisser pleinement respirer l’écoute. Avec le sentiment d’y perdre en diversité, au profit d’une globalité certes grandement sonore et d’ailleurs stimulante.

La reprise d’une captation « historique » (aucune date n’est fournie, ce qui vaut pour l’ensemble) ouvre le coffret : Improvisation sur l’hymne monégasque par Henri Carol (1910-1984) à l’orgue Boisseau de la cathédrale – sur lequel, relevé par Tamburini en 1988, René Saorgin enregistra pour REM (Lyon), en 1988 et 1990, les Hymnes de Grigny et les deux Messes de Couperin, puis des récitals de classiques français pour Harmonia Mundi (1998) et Ligia (2002). Successeur de René Saorgin et professeur à l’Académie de Musique Rainier III de Monaco ainsi qu’au CRR de Nice, Olivier Vernet a consacré un CD aux Noëls d’Henri Carol à l’orgue Tamburini de Saint-Charles de Monte-Carlo (Ligia, 2010) ; de même, à l’orgue Boisseau-Tamburini de la cathédrale, Gabriel Marghieri a dédié à Henri Carol, qui fut l’un de ses maîtres, un récital centré sur l’Avent et Noël (Solstice, 2000). Noël Guy Fornari fait ici entendre le Noël Bourbonnais (huit variations, 1976) à l’orgue de St Paul’s (Tschanun, de Genève, fournisseur de plusieurs églises anglicanes de la Côte d’Azur). On dispose aussi d’un témoignage d’Henri Carol lui-même : récital de musique Renaissance et classique italienne à l’orgue Tamburini de Saint-Charles, enregistré en 1983 et publié en 1990 par REM, label entre-temps disparu.

Des plus éclectiques et un peu brouillon, le programme fait entendre, touchés par leurs titulaires, les onze orgues principaux des lieux de culte de la Principauté, mêlant époques et esthétiques sans véritable fil rouge, mais avec des raretés. Si l’orgue napolitain de la chapelle palatine est l’un des plus poétiques et des plus touchants – René Saorgin y avait gravé pour REM un délicieux récital italien (1987) –, tous font montre d’une personnalité affirmée et permettent d’aborder l’ensemble du répertoire. Au registre des raretés, citons le séduisant Capriccio du compositeur américain Craig A. Penfield, ou encore Elohenu (chant hébraïque) de Friedrich Gernsheim, belle pièce post-romantique pour violoncelle et orchestre (ou piano, 1881) – dont le soliste, de même la flûte de la Sonate de Corrette, n’est malheureusement pas crédité. Seul le Suédois Mathias Persson, trompette solo à l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (1985) et professeur à l’Académie Rainier III (1994), est évoqué par le texte liminaire d’Albert de Monaco, en référence à la Prière au Prince qui referme le coffret.

La musique d’aujourd’hui est elle aussi présente à travers Sancta Civitas de Franck Barbut, sur le thème de la Cité Sainte chantée par le Livre de l’Apocalypse, œuvre qui fut créée avec Marie-Christine Barrault lisant des extraits du texte de saint Jean. S’y ajoutent trois œuvres de Jean-Christophe Aurnague, compositeur prolifique d’origine basque, interprète le plus représenté dans la présente anthologie (13 plages, presque la moitié du coffret) ; le reste de sa discographie permet de découvrir ses compositions, éditées chez Delatour France – beaucoup de rythme et de mouvement, une énergie inépuisable dans une lignée très symphonique française.

(1Orgues historiques des vallées de la Roya et de la Bévéra – Les Éditions du Cabri
https://laboutiqueducabri.fr/produit/orgues-historiques-des-vallees-roya-bevera/

(2) Nouvel orgue de la cathédrale de Monaco, Thomas, 2011
https://www.orguesthomas.com/INSTRUMENTS/Références-1965-2021/Monaco

(3) Jean-Christophe Aurnague : discographie et œuvres publiées (Delatour France)
https://www.france-orgue.fr/disque/index.php?ior=1&org=Jean-Christophe+AURNAGUE
https://www.editions-delatour.com/fr/author/19-aurnague-jean-christophe?id_supplier=19&n=20

Les photos (par ordre d’apparition) des onze instruments entendus dans ce coffret proviennent de l’ouvrage paru en 2020 aux Éditions Privat : Le Grand Livre de l’Orgue à Monaco – XVIIe-XXIe siècle. Cet inventaire exhaustif ne montre le nouvel orgue du Sacré-Cœur, construit en plusieurs phases par Brondino – Vegezzi-Bossi, que sous sa forme inachevée (2019), sans la décoration finale du buffet, habillage modifiant sensiblement l’esthétique visuelle de l’instrument, que l’on peut découvrir (ici capture d’écran) dans un documentaire de présentation (monaco.info / Diocèse de Monaco) :
https://monacoinfo.com/video/lorgue-de-leglise-du-sacre-coeur/