« Alla francese »

Georges Guillard
(orgue Jean-Baptiste Micot [1771-1772] de la cathédrale Saint-Pons de Saint-Pons-de-Thomières, Hérault)
* Elsa Sirodeau (mezzo-soprano)
LIVRET FRANÇAIS
Durée : 1h 01′ 28″
Côté Ut dièse CUD 251, 2025

Capriccio sopra la Battaglia (1615)
Capriccio (1615) del soggetto scritto sopra l’Aria di Ruggiero (Fra Jacopino)
Balletto (1615)
Capriccio Pastorale (1615)
* Se l’aura spira tutta vezzosa (Primo libro Arie Musicali, 1630)
Aria detta La Frescobalda (1637)
Toccata per l’elevazione (Fiori Musicali, 1635)
* A pié della gran Croce (Maddalena alla Croce) (Primo libro Arie Musicali, 1630)
Capriccio sopra La Girolmeta (Fiori Musicali, 1635)
Toccata quinta, sopra i pedali per l’organo, 1637)
Bergamasca (Fiori Musicali, 1635)
* Ricercare con obligo di cantare la quinta parte senza toccarla (1635)Cento partite sopra Passacagli (1615)
Il fallait y penser, formidable intuition, puis il fallait oser ! Dans l’esprit du mélomane, l’orgue italien est indissociable de la facture quasi immuable de la péninsule italienne, inchangée des siècles durant, jusqu’au bouleversement radical de la seconde moitié du XIXe siècle. C’est sur ce type d’instruments, dans la lignée des Antegnati ou d’esthétique proche (à défaut « neutre »), que ce répertoire est habituellement proposé. Amplifier la palette de Frescobaldi, le faire notamment bénéficier des anches et cornets de la facture classique française, telle est l’idée de Georges Guillard, loin de toute provocation. Simplement élargir les visions convenues. Il s’agit avant tout de questionner l’esthétique frescobaldienne et ses exigences, au point d’en renouveler finalement l’écoute, mais aussi de se faire plaisir et par la même occasion de combler l’auditeur. Mission accomplie, chaque page apportant son lot de surprises dans l’établissement d’une très musicale correspondance entre les deux esthétiques.


À la différence de l’orgue classique français, qui exige des mélanges hauts en couleur bien spécifiques, l’orgue italien se « contente » – son idéal en termes de plénitude – de la pyramide des octaves et des quintes, dont dispose aussi l’orgue français, à sa manière, quitte à sonner différemment en termes d’harmonisation des jeux dans ce répertoire ultramontain, cependant que pleins jeux et autres cymbales ne sauraient restituer le sacro-saint ripieno progressif en rangs séparés, qui permet assurément une plus grande souplesse dans l’empilement des harmoniques. Mais qui, globalement, peut le plus, peut aussi « le moins » – terme naturellement on ne peut plus impropre s’agissant de l’orgue italien.
Outre l’incitation à ne surtout pas se priver d’une telle musique au prétexte que l’on ne disposerait pas d’un orgue d’esthétique italienne, l’idée sous-jacente est aussi d’établir des passerelles par le timbre entre formes italiennes et françaises. Ainsi Georges Guillard, dans un texte plein d’esprit, rapproche-t-il par exemple les fameuses Toccate per l’elevazione des Fonds d’orgue façon Marchand. Force est de dire que celle des Fiori musicali ici proposée est de toute beauté sur les fonds du Micot de Saint-Pons, tempérament compris.
La confrontation ne se limite pas à un face-à-face France-Italie. En témoigne la Battaglia d’introduction sur anches et cornets qui évoque tout autant l’Espagne, dont l’influence fut, il est vrai, bien que guère pour l’orgue, à maints égards sensible dans le sud de la péninsule. Le Capriccio […] sopra l’Aria di Ruggiero renforce le trait : le cornet transporte l’auditeur via la métamorphose du spectre sonore, gorgé de saveurs espagnoles et suggérant un tiento de tiple – un dessus soliste semble magnifier un demi-registre qui serait porté par les fonds sur la moitié basse du clavier. Une même sensation se retrouve dans la section Corrente des fameuses Cento partite sopra Passacagli, œuvre monumentale qui referme ce programme exubérant. Variée dans sa registration sans toutefois rompre une nécessaire unité, celle-ci met à profit les frottements de l’écriture, faisant la part belle aux chromatismes.
Trois pages vocales ponctuent ce programme, rappelant que la voix prime les instruments dans la Rome de Frescobaldi. Captée d’un peu loin et accompagnée par les fonds variés et très présents du Micot, la voix soliste s’épanouit paisiblement depuis la tribune de marbre. Parmi ces pièces, le fameux Ricercare « avec obligation de chanter la cinquième voix sans la jouer » – incroyable poésie des flûtes, douceur et noblesse mêlées.
De la vie à foison, du chant, de la couleur, du rythme, une juvénile et impétueuse fraîcheur, une architecture décuplée par l’écriture et sa fougueuse restitution instrumentale, au gré de prises de risques assumées et tonifiantes. Entre les Cantates de Bach et sa chère Élisabeth Jacquet de La Guerre, Georges Guillard montre combien il s’entend à élargir son propre horizon musical, de manière inédite et convaincante, et dès lors le nôtre.
Girolamo Frescobaldi « alla francese »
Georges Guillard (orgue J.-B. Micot [1771-1772] de Saint-Pons-de-Thomières), Elsa Sirodeau (mezzo-soprano)
https://www.coteutdiese.fr/Contenu%25guillard%252025.html
L’Orgue historique de Saint-Pons-de-Thomières (Hérault)
https://www.orgue-saint-pons.org/orgue.html


Photo de l’orgue de Saint-Pons : © Daniel Kuentz