Mélodies et chansons – Pièces pour piano

Françoise Masset (mezzo-soprano),
Vincent Leterme (piano)
LIVRET FRANÇAIS / ANGLAIS
Durée : 1h 17′ 35″
Maguelone MAG 59, 2025

Une fois n’est pas coutume et confirme la règle, tout en faisant écho à la devise d’Orgues Nouvelles : « La Revue des Passionnés d’Orgue & de Musique ». Françoise Masset fait à elle seule le lien avec l’orgue, son impressionnante discographie, et sa réponse naturelle : le concert, témoignant d’une longue complicité avec l’instrument à tuyaux, mais aussi l’harmonium, en dialogue avec Joris Verdin, Georges Guillard, Kurt Lueders, Michel Alabau, Pascal Marsault ou Pascale Rouet, et bien d’autres encore. S’il n’est pas ici question d’orgue, on s’en voudrait néanmoins de ne pas partager une telle découverte, pépite musicale si réjouissante et stimulante. D’ailleurs, pas d’orgue, c’est vite dit, car il s’y trouve une étonnante mélodie, sur un poème de Charles Cros, intitulée… L’Orgue.


Connaissez-vous Claude Arrieu ?, interroge fort à propos Christian Wasselin sur le site Webtheatre (1) – et l’on est au regret de devoir avouer : hélas ! non. Le livret finement documenté du présent CD, sous la plume vive et conquise par son sujet de Françoise Masset elle-même, qui a consacré un mémoire de maîtrise à la compositrice (Une femme et un compositeur : Claude Arrieu, Université Paris-Sorbonne, 1985), retrace d’un côté le parcours de Claude Arrieu (née Louise-Marie Simon – sa mère Cécile Simon était elle-même pianiste et compositrice), de l’autre sa propre rencontre avec la musicienne et la connaissance ainsi acquise de son œuvre riche et variée.
Élève de Marguerite Long, Noël Gallon, Jean Roger-Ducasse mais aussi de Paul Dukas – dans la classe duquel, au Conservatoire de Paris, elle obtient en 1932 un Premier Prix de composition –, Claude Arrieu connut un brillant parcours professionnel. Entrée en 1935 à la Radiodiffusion française, elle y fut d’abord, dans le sillage de Pierre Schaeffer, « musicienne metteuse en ondes ». Devenue en 1944 chef adjoint du Service d’Illustrations musicales au côté d’Henri Dutilleux, elle quitte la radio en 1947 pour se consacrer avant tout à la composition. Outre le théâtre (de l’opéra-bouffe à l’opéra radiophonique), elle a composé pour le cinéma, la radio, le music-hall. Son catalogue de « musique pure » comprend plusieurs concertos (piano, deux pianos, violon, flûte, trompette et cordes), de la musique d’orchestre, de chambre, pédagogique, pour piano… La voix (soliste mais aussi chœur) y occupe une place de choix, dont quantité de mélodies et de chansons : Françoise Masset et Vincent Leterme en offrent ici un vaste florilège qui s’écoute l’oreille et l’œil inlassablement en éveil (l’intégralité des textes chantés figure dans le livret).
Des poètes de la Renaissance – Marot, Ronsard – jusqu’à ses propres contemporains, Claude Arrieu a puisé les textes qu’elle a mis en musique aux sources les plus diverses, la frontière entre mélodie et chanson étant d’ailleurs assez mouvante. De l’absolue miniature, ainsi le cycle Chansons bas (1936) sur des textes de Mallarmé, à la mélodie généreusement développée – s’il est impossible de toutes les citer, l’une d’elles mérite une attention particulière : La Belle qui viendra (1939, poème d’André de La Tourrasse), bouleversante de beauté mélodique et harmonique, dans sa sobriété, et de pure émotion via l’alternance, refrain-couplets, de climats délicatement contrastés.
Pour tenter de situer Claude Arrieu mélodiste, on pourrait certes évoquer Poulenc – les poèmes de Louise de Vilmorin et de Max Jacob faisant ici le lien. Mais la voix de Claude Arrieu est avant tout singulière, absolument libre et indépendante tout en s’intégrant parfaitement dans son temps. Douée d’un sens inné de la prosodie, volontiers spirituellement et délicieusement caustique – l’humour revendique une place à part entière – mais jamais acide, arborant un sens de la période, du rythme de la phrase poétique et de son support mélodique dans un stimulant et jubilatoire rapport d’égalité entre d’un côté le chant et la diction, de l’autre des parties de piano tout aussi piquantes et source de vie que judicieusement pondérées : la concision même, d’une spontanéité merveilleusement travaillée, Claude Arrieu parvient souplement mais avec quelle acuité à un équilibre tout simplement idéal !
La compréhension de ces mêmes qualités fait tout le charme et la beauté de cette gravure. Françoise Masset y déploie son talent de chanteuse et de diseuse, équilibre délicat ici admirablement opérant, distillant verve populaire, nostalgie, lyrisme ou même drame au gré des textes, sa diction parfaite et timbrée de même permettant d’en goûter chaque instant. Même lumineux et stimulant engagement dans le jeu de Vincent Leterme, indispensable au rapport d’équilibre entre la voix et ce qui la porte. Revit ici la poétique exactitude d’une approche instrumentale éminemment française, fuyant toute forme d’excès, tempérance et style étant les maîtres mots – et vivacité. L’enchantement est ici élargi et prolongé par la ponctuation de quelques pièces pour piano seul : La Toile d’araignée, extrait de La Boîte à Malice (1931), titre reflétant à souhait un aspect essentiel de l’esprit pétillant de la musique de Claude Arrieu, trois des Études Caprices de 1954, deux extraits des Intermèdes radiophoniques de 1945, Barcarolle et Nocturne. Et comme le partage est l’essence même de cette musique, le baryton Didier Henry prête sa voix à La chanson de Marianne (1947), version en duo sur le poème de Max Jacob, de même que Vincent Leterme bisse avec Françoise Masset le piquant Bonsoir au public de conclusion. Un enchantement !
(1) Connaissez-vous Claude Arrieu ?, par Christian Wasselin
Claude Arrieu – Mélodies et chansons, Françoise Masset et Vincent Leterme, CD Maguelone MAG-59
https://www.maguelone.fr/fr/actualite/196-claude-arrieu-melodies-et-pieces-pour-piano-3770003584599.html


Site de Françoise Masset
https://www.francoisemasset.com/pages/actus.html
Écrits de Françoise Masset sur Claude Arrieu
https://www.francoisemasset.com/pages/claude-arrieu.html
Illustrations provenant du livret du CD :
Silhouette de Claude Arrieu, 1960, dessin d’Alfred Manessier – © collection Olivier Schneider
Claude Arrieu à Venise en 1949, lors de la remise du Prix Italia – © collection Françoise Masset