SORTIES CD

Par Michel Roubinet

Hommage à Albert Schweitzer

Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Daniel Meylan, orgue Christoph Treutmann (1737), Stiftskirche St. Georg, Goslar-Grauhof, Basse-Saxe (Allemagne)

LIVRET FRANÇAIS / ALLEMAND
Durée : 57′ 33″
Hortus 247, 2025

Fantaisie et fugue en sol mineur BWV 542
Choralvorspiele : 
Herzlich tut mich verlangen BWV 727
Erbarm’ dich mein, o Herre Gott BWV 721
Vom Himmel hoch, da komm ich her BWV 738
Meine Seele erhebt den Herren BWV 733
Nun freut euch, lieben Christen g’mein BWV 734
Wir glauben all an einen Gott BWV 740
Pastorale en fa majeur BWV 590
Prélude et fugue en do majeur BWV 547

J.S. Bach, Nun freut euch, lieben Christen g’mein BWV 734 (extrait), Daniel Meylan

Ce récital, à trente ans de distance, est un nouvel hommage de l’organiste suisse Daniel Meylan à Albert Schweitzer (1875-1965). Gravé en 1994 à l’orgue Ahrend de Porrentruy (1985, Jura suisse), inspiré du Silbermann de Glauchau (1730, Saxe), le premier hommage se focalisait sur la Passacaille et fugue BWV 582 explicitée par un Essai sur le symbolisme de cette œuvre emblématique (voir document), quête spirituelle et poétique de l’interprète dans le sillage de Schweitzer. Ce CD comportait un développement oral, en français et en anglais, se référant aux « constantes expressives » mises en lumière par le théologien, médecin, philosophe et musicien. 

S’étant perfectionné pour l’orgue auprès de Widor, Schweitzer (1) exerça en retour une influence à travers le dévoilement des liens intimes entre la musique de Bach et les textes des chorals. Il mit en forme ses idées dans son célèbre Jean-Sébastien Bach, le musicien-poète (1905), ouvrage ensuite traduit par lui-même en allemand (en fait réécrit et sensiblement augmenté, 1908). L’esprit s’en retrouve dans l’édition des œuvres pour orgue de Bach entreprise en 1912 avec Widor (Vol. 1 à 5) pour l’éditeur new-yorkais G. Schirmer, achevée cinquante ans plus tard (6 à 8) avec Édouard Nies-Berger (1903-2002), musicien alsacien qui œuvra avec Schweitzer à Gunsbach et à Lambaréné (2). Installé aux États-Unis et organiste du New York Philharmonic (1943-1952), on l’entend dans la Symphonie « avec orgue » de Saint-Saëns, en 1947 au Carnegie Hall de New York, sous la direction d’un autre Alsacien, Charles Munch…

Schweitzer a gravé de nombreuses œuvres de Bach (mais aussi de Mendelssohn, Franck, Widor), à Londres, Strasbourg et Gunsbach entre 1928 et 1952, reprises au fil du temps par EMI, Pearl, Archipel, Fono Enterprise… En 2010, IFO Classics a réuni l’essentiel dans un coffret de 6 CD (3) : on y retrouve la Fantaisie et fugue BWV 542 mais pas le Prélude et fugue BWV 547, qu’il a néanmoins enregistré (Pearl, Vol. 2). La filiation spirituelle et poétique est intéressante à retracer entre Albert Schweitzer et Daniel Meylan, par-delà les différences considérables quant aux instruments joués. Ici l’orgue phénoménal de Goslar, parvenu à nous presque intact : tous les jeux sont d’origine, à l’exception des mixtures, restituées (tout comme la Vox humana de l’Ober-Werck) ou complétées par la firme Gebrüder Hillebrand en 1989-1992. Marie-Claire Alain fut l’année suivante la première à enregistrer l’orgue restauré (dans le cadre de sa troisième intégrale Bach), suivie, versant français, de Jean-Charles Ablitzer, Olivier Vernet et Bernard Coudurier.

Dans ce second hommage, à l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Schweitzer, Daniel Meylan poursuit son exploration : « J’ai souhaité […] prolonger cette recherche au niveau des pièces libres, celles-ci n’étant donc pas associées à un texte. En effet, lorsqu’on prend conscience que bien des préludes et fugues étaient destinés à encadrer le culte luthérien, on imagine sans peine l’illustre Cantor commenter en musique les différentes fêtes et temps liturgiques. » Ainsi rapproche-t-il le diptyque BWV 542 du temps de l’Avent, avec son « climat oppressant » (bien des exégètes présupposent dès l’Avent et la Nativité l’annonce de la Passion) entrecoupé de volets apaisants « rappelant certains chorals de l’Orgelbüchlein ». Le Treutmann restitue puissamment tant la force tellurique dominante de la Fantaisie que l’apaisante régularité de la pulsation des volets intermédiaires.

Daniel Meylan adopte des tempos d’une très convaincante justesse en lien avec une articulation souveraine, déliée et chantante – la Fugue BWV 542 ou Wir glauben BWV 740 à double pédale en sont des exemples affirmés. Autant de vie qu’il est possible sans restreindre l’intelligibilité, y compris dans l’opulence des textures du BWV 547, optimisant ainsi le rapport tempo-écriture. Nun freut euch BWV 734, souvent entendu sur un tempo d’enfer façon étude brillante de Czerny, est à cet égard prodigieux : impossible d’imaginer un équilibre, en termes de dynamique et de timbres, plus favorable au cantus et au mouvement perpétuel des voix le portant. Les chorals, comme la Pastorale, sont autant de moments de grâce : pureté du chant, spiritualité de l’élan, beauté des timbres si particuliers du Treutmann, riche en fonds variés et doté d’une belle palette d’anches. À l’écoute de ce disque, à la jonction de la vie et d’une projection généreuse de la polyphonie, c’est bel et bien l’image du musicien-poète qui s’impose à notre imaginaire.

(1) Albert Schweitzer
https://www.schweitzer.org/decouvrir/chronologie/organiste/

(2) Édouard Nies-Berger : Albert Schweitzer m’a dit, traduit de l’anglais par Odile Demange, La Nuée Bleue / Dernières Nouvelles d’Alsace, 1995

(2) Coffret 6 CD IFO Classics (2010) réunissant l’essentiel des enregistrements (1928-1952) d’Albert Schweitzer
http://www.ifo-classics.de/index.php/details/produkt/ifo00701.html

CD Hommage à Albert Schweitzer – Hortus 247
https://editionshortus.com/catalogue_fiche.php?prod_id=333

Orgue Christoph Treutmann, 1737, de Goslar-Grauhof
https://www.treutmann-orgel.de

Composition de l’instrument :
https://www.orgel-information.de/Orgeln/g/gk-go/goslar-grauhof_st_georg.html

Discographie d‘Albert Schweitzer
https://www.france-orgue.fr/disque/index.php?zpg=dsq.fra.rch&org=Albert+Schweitzer&tit=&oeu=&ins=&cdo=1&dvo=1&vno=1&edi=&nrow=10&cmd=Retour

Discographie Hortus de Daniel Meylan
https://www.editionshortus.com/artiste_fiche.php?artiste_id=142&langue=fr&prod_id=333

Photos de l’orgue Treutmann (https://www.treutmann-orgel.de) :
Treutmann-Orgel 1737– © Dr. Frank Straube – Verein der Förderer der Treutmann-Orgel von 1737 in der Stiftskirche Grauhof e.V. [Association des promoteurs de l’orgue Treutmann de 1737 de la collégiale Grauhof]