Suites pour l’orgue et le clavecin

Michel Louet, orgue Jean-Loup Boisseau (1978) de la collégiale Saint-Sylvain de Levroux (Indre), clavecin Alain Anselm (2014)
LIVRET FRANÇAIS
Durée : 1h 05′ 40″
Ctésibios CTE 080, 2024

Première Suite en do majeur pour clavecin
Suite du premier ton (mode de ré mineur) pour orgue
Deuxième Suite en do mineur pour clavecin
Suite du deuxième ton (mode de sol mineur) pour orgue
1502 : encore gothique, le buffet de Levroux est l’un des plus anciens de France. Sans doute à l’origine dans le chœur de la collégiale, l’orgue, plusieurs fois relevé, est installé sur sa tribune en 1780. Après l’effondrement de la voûte qui le ruine en 1850 (ou dès le transfert de 1780 ?), les proportions du buffet sont altérées, passant d’un douze pieds à un huit pieds. Joseph Merklin y construit un petit orgue de treize jeux en 1860. La partie instrumentale (aujourd’hui 25/III+Péd.) est entièrement reconstruite en 1977-1978 par Jean-Loup Boisseau assisté de Bertrand Cattiaux et Jean-Paul Édouard, l’orgue étant inauguré par Marie-Claire Alain. Ce Boisseau a été enregistré dès avril 1979 par Jean Boyer : Livre d’orgue de Nicolas de Grigny (Stil, 1980, repris en CD en 1996 – malheureusement introuvable, éternel problème avec le pourtant passionnant catalogue Stil). Également titulaire de Notre-Dame de Châteauroux (un Cavaillé-Coll tardif reconstruit par Robert Boisseau, relevé une première fois par son fils Jean-Loup et Bertrand Cattiaux), son titulaire Michel Louet y enregistre en 2000, pour fêter avec un peu d’avance les 500 ans du buffet, un CD Marchand-Guilain (Lancosme Multimédia LM 03) : « les bénéfices de la vente [ont] permis la construction du 3ème clavier de Récit en 2008 ; un don privé a permis la réalisation d’une tirasse au pédalier ». Un relevage par la manufacture Béthines les Orgues a eu lieu en 2021, avec inauguration le 24 octobre par Michel Louet.






Projet caressé de longue date avec Pascal Oosterlynck (Ctésibios), Michel Louet a pu graver en 2023 pour le clavecin (installé dans la sacristie de la collégiale) et 2024 pour l’orgue les deux Livres (1704 et v.1710) de Nicolas Clérambault (lui-même n’aurait utilisé que ce prénom, à la différence du Louis-Nicolas d’usage), chacun qualifié de Premier Livre bien que sans suite, cas nullement isolé dans la musique du Grand Siècle. Cette parution rend hommage à Jean-Loup Boisseau (1940-2023), ainsi qu’à son fils Jean-Baptiste (1965-2022), artisan du relevage de 2021 avec Jean-Marie Gaborit, qui entretient l’instrument et l’a magnifiquement préparé pour cet enregistrement.
Versant clavecin, l’interprète a opté pour un deux claviers de type français XVIIe construit en 2014 par Alain Anselm (1), bénéficiant ici d’une prise de son d’une chaleureuse proximité ; pour l’orgue, celui de Levroux est très exactement pensé pour la musique française du tournant des XVIIe et XVIIIe siècles. L’un et l’autre « sont accordés un ton plus bas que notre diapason moderne, soit la = 392hz : c’était en France le « ton de chapelle ». […] Après quelques essais au gré des différents accords ces quarante dernières années, l’orgue de Levroux est arrivé à un type d’accord où cinq tierces sonnent quasi pures et les sept autres s’agrandissent progressivement ; ainsi peut-on s’éloigner vers des tonalités étrangères aux tons de l’église […]. Au clavecin la problématique est tout autre qu’à l’orgue, où l’accord est fixé pour le long terme […] Pour l’enregistrement des œuvres de Clérambault j’ai ainsi accordé le clavecin en mésotonique à huit tierces pures pour la Suite en do majeur : les tierces sur fa, sol, la, si ♭, do, ré, mi♭ et mi étaient pures, aucune autre tierce majeure n’étant requise dans cette Suite. La Suite en do mineur (tonalité exceptionnelle en France en 1704) ne comporte aucun do ♯ ni aucun sol ♯, j’ai donc choisi de partir du précédent accord et de remplacer les sol ♯ par des la ♭ et les do ♯ par des ré ♭, afin de « dramatiser » un peu plus certaines tierces mineures. » Au tempérament strictement sur mesure ainsi obtenu répondent une robustesse et un délié du jeu apportant vie et faconde, l’un des beaux temps forts de ces Suites étant le Prélude non mesuré de la seconde.



À l’instar du type d’accord évoqué par l’interprète, l’alternance du clavecin et de l’orgue vivifiant à loisir l’écoute tandis que le diapason bas de l’orgue compense en partie l’absence d’un Bourdon de 16 au manuel, la modification de 2008 a sensiblement renforcé l’adéquation entre le Livre de Clérambault et la palette du Boisseau (avec un tremblant des plus souples et équilibrés) : le Cornet du grand clavier transféré au Récit alors nouvellement créé avec sa mécanique permet de jouer de manière naturelle certaines pages en dialogue de la Suite du premier ton : Basse et dessus de Trompette ou de Cornet séparé, Récits de Cromorne et de Cornet séparé et Dialogue sur les grands jeux final. On notera pour la Fugue de cette même première Suite que Michel Louet opte pour une registration sur jeux de fonds, lumineux et d’une grande intelligibilité, en lieu et place des anches traditionnelles. Dans la Suite du deuxième ton, mention particulière pour l’ineffable poésie des Flûtes et du Récit de Nazard, dont le chant pur et très allant s’épanouit sans contrainte dans une acoustique favorable idéalement captée, avec mise en relief de la gradation des plans sonores.
(1) https://clavecin-en-france.org/spip.php?article57
Disques Ctésibios
https://www.ctesibios.fr
Pour les photos de l’orgue (travaux de 2021) : © Ville de Levroux (Patrimoine) ; elles figurent sur la page Facebook de la Ville de Levroux (20 août 2021) – Le point d’orgue de la restauration
https://www.facebook.com/Levroux36/posts/4054213758037392/
