La grande tradition à Saint-Sulpice au XIXe siècle

Daniel Roth, orgue Cavaillé-Coll (1862), Mark Dwyer et Stephen Tharp, orgue de chœur Cavaillé-Coll (1858) de Saint-Sulpice (Paris), Chœur Darius Milhaud, dir. Camille Haedt-Goussu, Ensemble Dodecamen, dir. Christopher Hyde

Œuvres de Charles-Marie Widor, Philippe Bellenot, Louis-James-Alfred Lefébure-Wely
Improvisations de Daniel Roth
LIVRET FRANÇAIS
Durée : 1h 12′ 49″
JAV Recordings JAV158, 2005 / réédition Aross, 2025
La Messe en fa dièse mineur op. 36 de Charles-Marie Widor est, sur le versant choral, l’œuvre phare de sa longue présence à Saint-Sulpice. Enregistrée début juillet 2005 pour le label new-yorkais JAV Recordings (initiales du producteur Joseph Anthony Vitacco III, label auquel on doit notamment la découverte d’instruments construits par Skinner et Aeolian-Skinner), cette gravure vient d’être rééditée par l’Aross (1) à l’occasion de la reprise de l’œuvre en concert à Saint-Sulpice le 18 mai 2025 (2).
Ce qui aujourd’hui signifie une mise en œuvre de moyens tout à fait exceptionnels était pour Widor ce dont il pouvait commodément disposer – un autre temps. L’œuvre a en effet été spécifiquement composée pour un double chœur : à l’époque les quelque deux cents voix des séminaristes du Grand Séminaire, alors place Saint-Sulpice, dont la ligne unique est globalement indiquée « Barytons » sur la partition (3), donc une majorité écrasante de voix d’hommes, et les quarante voix de la Maîtrise, soit les quatre parties usuelles, spécifiées « sopranos, contraltos, ténors, basses », tous portés et accompagnés par les deux orgues Cavaillé-Coll, parvenus jusqu’à nous intacts. Si numériquement le récent concert de Saint-Sulpice (250 chanteurs !) renouait avec les effectifs de l’époque, la participation de chœurs principalement mixtes influe nécessairement sur la restitution, de même pour les enregistrements parus au fil du temps. Sans surprise, ce répertoire semble davantage prisé à l’étranger, de la cathédrale de Cologne à celle de Westminster (catholique) à Londres pour Widor – ici restitué, comme il se doit, avec prononciation gallicane des textes latins. Le présent enregistrement, le seul réalisé à Saint-Sulpice de cette Messe d’apparat, renforce la composante « voix d’hommes dominantes » par l’ajout au Chœur Darius Milhaud (fondé à Paris en 1972 par le compositeur Roger Calmel et riche d’une soixante de voix mixtes) de l’Ensemble Dodecamen (également parisien et créé en 1998, constitué de douze à vingt voix d’hommes) – tous amateurs de haute tenue.
Si la Messe de Widor est monumentale par ses effectifs et le caractère grandiose des interventions du grand orgue, l’orgue de chœur accompagnant à proprement parler les voix (celui de tribune reste d’ailleurs muet dans l’Agnus Dei), elle n’en est pas moins concise (16′ 30″). L’usage veut qu’elle soit précédée et ponctuée d’improvisations au grand orgue, comme le fait ici Daniel Roth avec panache et une parfaite adéquation stylistique, sans renoncer à sa touche personnelle, l’ampleur de ses improvisations étant chaque fois proportionnée à celle des pages vocales auxquelles elles se réfèrent.




Cliquez pour agrandir…
L’ensemble du programme offre la restitution grandeur nature d’un office solennel à Saint-Sulpice. Introduite par une sonnerie de cloches captée depuis l’intérieur de l’église (Carillon enregistré le 15 août 2005), la Messe est donc précédée d’un Prélude improvisé et ponctuée d’improvisations tenant lieu tout d’abord d’Offertoire et d’Élévation. Entre ces deux interventions, une première page vocale de Philippe Bellenot (1860-1928), organiste de chœur puis maître de chapelle de Saint-Sulpice (4) : Ave Maria pour chœur mixte et orgue de chœur, touché dans ce programme à la fois par Mark Dwyer et Stephen Tharp, ce dernier, virtuose de renom, ayant aussi gravé pour le même label, en 2002, un récital au grand orgue (JAV130) : Widor, Franck, Saint-Saëns, Roth, Dupré.
Après l’imposante Communion improvisée s’élève un O Salutaris de Lefébure-Wely, qui à son tour introduit un Salut du Saint-Sacrement. S’y enchaînent, toujours ponctuées au grand orgue d’improvisations de Daniel Roth mettant en valeur avec une poétique inventivité la palette du Cavaillé-Coll, des pages vocales pour chœur mixte ou voix d’hommes accompagnées par l’orgue de chœur uniquement, dont un Tantum ergo de Bellenot. Le programme se referme sur trois pages données lors de la cérémonie de reconsécration, le 29 novembre 1926, de l’orgue de tribune relevé («…un dépoussiérage, la réfection de la mécanique, le renouvellement des peaux des souffleries et de toute la canalisation électrique qui traverse l’orgue pour éviter tout risque d’incendie… », Daniel Roth, Le Grand orgue de Saint-Sulpice et ses Organistes, La Flûte Harmonique n°59/60, 1991) : Tu es Petrus et un second Ave Maria de Bellenot, puis Quam Dilecta de Widor lui-même, qui requiert la participation des deux orgues. Une page d’histoire musicale puisant à la source même de la tradition de Saint-Sulpice et recréée pour notre temps.
(1) Aross – Association pour le rayonnement des orgues Aristide Cavaillé-Coll de l’église Saint-Sulpice
https://www.aross.fr
(2) Saint-Sulpice, concert du 18 mai 2025
https://www.concertclassic.com/article/la-messe-pour-deux-choeurs-et-deux-orgues-de-widor-saint-sulpice-affluence-record-et-grand
(3) Charles-Marie Widor : Messe op. 36 (partition)
https://vmirror.imslp.org/files/imglnks/usimg/5/5c/IMSLP102778-PMLP210240-Messe_Widor.pdf
(4) Philippe Bellenot (1860-1928)
https://www.musimem.com/bellenot.htm
Charles-Marie Widor : Messe op. 36
https://www.aross.fr/produit/cd-messe-widor/
Les deux orgues Cavaillé-Coll de l’église Saint-Sulpice, Paris :
Orgue de tribune (1862) : https://www.aross.fr/le-grand-orgue/
Orgue de chœur (1858) : https://www.aross.fr/orgue-de-choeur/