La recherche d’œuvres perdues de J.S. Bach a une longue tradition. Depuis le XIXe siècle les passionnés de Bach parmi lesquels Mendelssohn, se sont attachés à préserver, à conserver et à sauver ces œuvres de l’oubli. Mais lorsque ces pionniers attribuaient avec enthousiasme à Bach telle ou telle pièce, c’était souvent davantage par intuition qu’au terme d’une analyse scrupuleuse. Aujourd’hui, une justification rigoureuse est devenue indispensable.
Deux oeuvres découvertes à la Bibliothèque royale de Belgique
Peter Wollny, chercheur spécialiste de Bach installé à Leipzig et directeur du Bach-Archiv, connaît depuis plus de trente ans les deux œuvres récemment identifiées comme étant de Bach : la Ciacona en ré mineur, BWV 1178, et la Ciacona en sol mineur, BWV 1179. Il les a découvertes à la Bibliothèque royale de Belgique. Dès le début, il est fasciné par ces manuscrits et tente d’en percer les secrets. Au cours de sa carrière de chercheur, le musicologue rassemble de nombreux indices qui, avec l’ultime élément du puzzle — l’identification du copiste — composent désormais un tableau complet. À l’aide de copies et de multiples visites à Bruxelles, il étudie à plusieurs reprises les deux manuscrits, examinant minutieusement chaque note.
Attribuer une œuvre à Bach est une tâche délicate : aucun des deux manuscrits n’est de la main de Johann Sebastian Bach, et ils ne sont ni datés ni signés. Mais Peter Wollny est parvenu à identifier le copiste, d’abord anonyme, à partir d’autres sources liées à l’entourage de Bach — par exemple dans une autre œuvre de jeunesse de Bach, une fugue sur un thème d’Albinoni. À cela s’ajoutent d’autres pièces provenant d’Allemagne centrale.
Identifier le copiste : une véritable enquête « policière »
Cette recherche de l’identité du copiste se transforme en une enquête digne d’un roman policier, étalée sur plusieurs décennies. En travaillant dans les archives d’une église de Thuringe, le Dr Bernd Koska, collègue de Wollny, découvre une lettre de candidature datée de 1729. On y voit un organiste jusqu’alors totalement inconnu des spécialistes de Bach, nommé Salomon Günther John, qui affirme avoir été élève de Bach à Arnstadt. Dès lors, il est aisé de reconstituer la vie de John, qui prit des leçons auprès de Bach à Arnstadt entre 1705 et 1707, puis réapparut plus tard dans son entourage, à Weimar. Wollny se met alors en quête d’autres documents et finit par trouver des écrits précoces de John, qui permettent de confirmer de manière définitive qu’il est bien le copiste recherché.
Le style des oeuvres de jeunesse de Bach
Les copies datent d’environ 1705. Sur le plan stylistique, les œuvres présentent des caractéristiques que l’on trouve chez Bach à cette époque, mais chez aucun autre compositeur : par exemple la combinaison de variations et d’ostinatos avec une fugue développée. On y remarque également des techniques rappelant fortement celles de Georg Böhm, l’organiste de Lüneburg, auprès de qui Bach se forma entre 1700 et 1702. Les premières compositions de Johann Sebastian Bach sont d’ailleurs empreintes de ces réminiscences de Böhm jusque dans sa période de Weimar. On y décèle aussi des échos musicaux comme dans la chaconne de sa cantate BWV 150.
Ces deux compositions pour orgue qui viennent enrichir le catalogue BWV de deux nouveaux numéros ont été présentées officiellement le 17 novembre 2025 lors d’une cérémonie marquant le lancement des « 75 ans du Bach-Archiv Leipzig ». Même si aucune preuve irréfutable ne vient authentifier ces deux chaconnes, et que le doute sera toujours permis, il s’agit de la première découverte de nouvelles œuvres de Bach depuis plus de vingt ans.
La partition de la Chaconne und Fuge in d Moll BWV 1178
La cérémonie de lancement des « 75 ans du Bach-Archiv Leipzig » (vidéo) avec l’interprétation des deux chaconnes (à 15:38 et 22:55) par Ton Koopman à l’orgue Woehl (2000) de St-Thomas de Leipzig